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[Portrait] Cheikh Niass : La face crachée de Sidy Lamine
Publié il y'a
6 ans ..Date :
Par
Mamadou diaga
Forte tête, esprit critique et sens des affaires, Cheikh Niass, 30 ans, a déjà tout de son père, Sidy Lamine Niass, le fondateur de Wal fadjri décédé le 4 décembre 2018. Portrait.
Le décès de Sidy Lamine Niass et la polémique suscitée par le choix de son lieu d’inhumation a eu comme acteur principal un certain Cheikh Niass. Jusque-là inconnu du grand public, le fils du défunt Pdg de Wal fadjri s’est révélé à la face du monde, lorsque ses oncles ont voulu enterrer son père à Léona Niassène, alors que lui tenait coûte que coûte, conformément à sa volonté, de le faire reposer pour l’éternité au cimetière de Yoff.
À peine sorti de l’adolescence, il a tenu en haleine tout une communauté. Pendant trois jours, cette forte tête a résisté à la grande famille de ses illustres aïeux El Hadj Abdoulaye Niass et Mame Khalifa Niass, avant de céder après moult conciliabules. Et comme si cela ne suffisait pas, ce presque trentenaire a tenu la dragée haute à l’autorité de Léona Niassène, pendant deux tours d’horloge, le jour de l’enterrement. L’emplacement de la tombe était alors la pomme de discorde.
« Sidy Lamine Niass mon modèle »
Ayant fait l’objet de toutes sortes de pressions (invectives, menaces, fatwa…) et accusé d’être un « Blanc » qui ignore les réalités du pays, Cheikh Niass est resté inflexible et droit dans ses bottes. Certains ont même prétendu qu’il ne parle pas bien le wolof, parce qu’il a longtemps vécu à l’étranger. Des disciples et sympathisants de son père en ont fait leur ennemi durant ces jours de tiraillements, mais rien n’y fit.
« Il est quelqu’un de têtu, très têtu même, reconnait son ami d’enfance Insa Camara, fils d’Abdourahmane Camara, lui-même ami et collaborateur de Sidy Lamine Niass pendant 35 ans. Il peut camper sur sa position et dire niet. Il m’est arrivé plusieurs fois d’être interpellé. On me dit : il faut parler avec Cheikh, il refuse de faire ceci ou cela. »
Cependant, s’empresse d’ajouter Insa, « Cheikh est quelqu’un de sensé, il suffit de lui présenter des arguments solides pour le convaincre ». Ce que semble confirmer la tournure des récents évènements. Resté intransigeant pendant 72 heures, le fils de Sidy a fini par lâcher du lest. Mais, à peine sevré de l’ombre de son père, Niass fils a décidé de regarder droit le soleil. Certes, à plusieurs reprises, il a versé des larmes durant ces moments de douleur, n’empêche le jeune adulte semble avoir tourné la page. Refuser de s’enfoncer dans l’émotion.
Sidy réincarné ? Une comparaison qui ne devrait pas lui déplaire, au regard de l’estime qu’il porte à son père. « Sidy Lamine Niass est ma référence et mon modèle », insiste-t-il. D’ailleurs, ses paroles renvoient sans cesse à son père dont il ne se lasse jamais de prononcer, avec un brin de fierté, le nom. « Il ne reste pas 24 heures sans parler avec son père, même quand il était en France. Parfois, on se parlait au téléphone et à un moment donné il me dit : ‘Insa, je te rappelle, il y a mon père qui appelle’, se souvient son ami de plus de 20 ans. Façonné et formaté par le papa à son image, il a fini par épouser ses idéaux. Au point de lui emprunter, presque mot à mot, son discours.
En effet, Cheikh revendique la verve et le sens de la contestation de Sidy Lamine. D’ailleurs, la prémonitoire émission « Sortie » de Walf Tv, dont il fut l’invité en mai dernier, permet de cerner sa personnalité. Débit rapide, gestuelle abondante, wolof parfait, discours teinté de références religieuses, maîtrise parfaite du Coran et des hadiths. « Dans nos discussions, il fait souvent recours à ces textes pour illustrer ses propos », témoigne Insa Camara.
Passionné d’audiovisuel devenu avocat
Pourtant, Cheikh Niass a longtemps vécu loin de son père. En 2011, il fait ses valises pour la France. Avec ses quatre frères et sœurs, il est confié à une tante dont il apprécie beaucoup le sens de l’éducation. Après le Bac, il a eu une proposition de financement pour suivre une formation en production audiovisuelle, lui qui a fait du théâtre sur scène et du cinéma en France, mais que son papa a conseillé d’en faire juste un passe-temps et non une profession.
C’est donc Sidy Lamine qui l’a poussé à devenir avocat d’affaires, après l’avoir incité à suivre des études de droit à l’université de la Sorbonne, puis à Nantes. Cheikh Niass a prêté serment le jeudi 18 janvier 2018 à la Cour d’appel de Paris. Le jour le plus heureux de sa vie. Parce qu’il a rendu à Sidy, présent à la cérémonie et tout souriant d’assister à la consécration du fils prodige, ce qui appartient à Lamine.
Fondateur du « Mouvement 100% », il laisse suinter des velléités de Che Guevara et de Gandhi et se veut déjà un révolutionnaire. Lancée le 15 mai 2018, sa trouvaille a pour objectif d’instaurer « une grande révolution en luttant contre la corruption et une République bananière ». Pour arriver à ses fins, le fils du Mollah a deux sources d’inspiration : « la révolution islamique et la révolution française de 1789 ». Ce qu’il veut, in fine, c’est de voir « une sacralité de la parole pouvant pousser les hommes politiques à respecter leurs promesses et autres engagements en tous lieux et en toutes circonstances ».
Parmi les concepts qu’il défend, il y a ce qu’il appelle « la citoyenneté 20 sur 20 ». Se définissant comme un passionné du Sénégal, il veut promouvoir des citoyens actifs ayant le patriotisme chevillé au corps. Et, en cela, quoi de mieux que de prêcher par l’exemple. Lui qui a passé l’essentiel de sa jeunesse dans l’Hexagone déclare n’avoir jamais demandé la nationalité française. Il se contente juste, en dépit du fait de son statut d’avocat au pays de Marianne, d’une simple carte de séjour. Une « fierté d’être sénégalais » qui fait que ce féru de mbalax et de variété française apprécie très peu « le détournement sarcastique du système Lmd en lutte, musique et danse ». Fustigeant « la diabolisation de la lutte, un patrimoine national qu’on devait protéger en tant que particularité du Sénégal, par ceux qui se disent intellectuels ». D’ailleurs la jeune robe noire a un avis sur la marche du Comité national de gestion (CNG) de la lutte. À son avis, « les coupes opérées par Alioune Sarr et Cie sur les cachets des lutteurs sont anormales et criminelles dans un pays difficile comme le Sénégal ».
Célibataire, « mafé », fitness et… aviation
Taille moyenne, teint clair, visage triangulaire, plutôt juvénile, le beau gosse né à Kaolack est un célibataire qui aime le « mafé » à la viande assaisonné de piment et de citron. Pour limiter le stress, le jeune homme à l’apparence athlétique, fait du sport en salle tous les jours vers 21-22 h. Ce fils à papa, qui a fréquenté le collège de la Cathédrale jusqu’en 5e, fait de l’aviation tous les week-ends pour satisfaire ses rêves de gamin. Il a même passé un diplôme en aviation en 2018. Objectif ? Son ami Insa, qui refuse d’en dire plus, de se rappeler : « Il était un élève travailleur, studieux et rigoureux, mais surtout suivi par son père qui voulait des études de qualité ».
Cependant, tout n’a pas été servi sur un plateau d’argent à ce « fils de riche ». Pour forger sa personnalité, le père lui accorde le strict minimum. Pour ne pas dire le soumet au régime sec. Il a donc connu de la privation, au point d’exercer, comme la plupart des étudiants africains, de petits boulots pour survivre. Malgré ce passage, Cheikh Niass est décrit comme quelqu’un de généreux. Qui n’aime ni sortir ni les mondanités, plutôt casanier. Il est aussi, dit-on, fidèle en amitié et disponible, lorsqu’il s’agit de rendre service à autrui. Ouvert et courtois. Un défaut ? La fougue. « Pour être un bon leader, il faut avoir des limites, savoir canaliser certaines choses », conseille son ami.
Cheikh Niasse n’a qu’un seul rêve aujourd’hui : revenir investir au Sénégal. En fait, parmi les qualités héritées de son père, il y a le sens des affaires. En 2014, après la Licence, il a tenté un premier retour au pays. C’était pour lui l’occasion de se livrer à sa passion. Il monte alors une agence de communication appelée Auxiliaire communication (AUXICOM). Il a vendu l’idée aux artistes, acteurs politiques, au patronat… Mais après 3 à 6 mois, il jette l’éponge, convaincu que le projet ne peut pas aboutir. Il décide alors de retourner en France pour faire son Master.
En 2015, deuxième tentative. Il revient et met sur pied la société « Cheikh Niass Production » (CNP). « J’ai mis mon argent, j’ai vendu mon véhicule. J’ai tout fait, clame-t-il. J’ai pris une bonne équipe, espérant que je peux tout avoir. » Le business marche à pas de caméléon. Après un bref passage à l’Université Gaston Berger pour un Master professionnel juriste d’affaires (MPJA), sur conseil de son ami Insa, il décide de retourner en France, laissant derrière lui son bébé, le CNP.
En 2016, nouveau retour au Sénégal. L’affaire ne décolle pas. Les dépenses de l’entreprise sont toujours supérieures aux recettes. Autrement dit, l’entreprise cumule les pertes. Un échec qu’il met sur le dos des autorités étatiques. « Il est difficile d’entreprendre au Sénégal, et c’est dans tous les domaines, peste-t-il. Le régime en place n’a pas créé un cadre propice pour l’entreprenariat et l’investissement. Au contraire, il pense que tout est discours et slogan (la patrie avant le parti, gouvernance sobre et vertueuse…). »
Déjà dans l’émission Sortie, Cheikh Niass soutenait : « L’argent ne circule pas, parce qu’il est réparti de manière inéquitable. Et c’est ce qui fait que les hommes d’affaires, les artistes, les sportifs font de la politique, non pas pour apporter des idées nouvelles et de la valeur ajoutée, mais pour faire de la politique-business. » Son ami Insa Camara trouve, lui, une autre explication : « C’est parce que Cheikh ne résidait pas au pays. Et il est loin de deviner qu’il est difficile de piloter une entreprise à distance, si elle n’a pas encore une assise solide. »
Pdg de Walf : « Ni mon rêve ni mon ambition »
Fortunes diverses dans l’entreprenariat et passion pour la production, il n’y a peut-être qu’un pas à franchir pour titiller la diffusion et s’installer dans le groupe de papa. Surtout que la société Cnp travaille déjà en partenariat avec le groupe Walf. D’ailleurs, c’est l’entreprise de Sidy Lamine qui a entièrement financé la série « Ndoumbélane », une production du Cnp, à hauteur de 10 millions.
Il s’y ajoute que sa radio, Puissance Fm, partageait les mêmes locaux que Walf Sport à Khar Yalla. Sera-t-il alors le futur patron ? Les travailleurs du groupe Walf, particulièrement la télévision, semblent lui avoir déjà préparé le fauteuil. Du moins au vu de la posture qu’ils ont adoptée durant la crise qui l’a opposé à sa grande famille. Non seulement, le micro lui a été ouvert, à chaque fois qu’il a voulu parler, mais surtout tous ceux qui ont pris la parole, en direct ou sur le plateau, ont défendu sa cause.
À moins que ce triste évènement ait fini de lui donner des idées, Cheikh Niass ne devrait pas occuper le bureau de Sidy Lamine. C’est, en tout cas, ce qu’il avait laissé entendre il y a quelques mois dans l’émission Sortie. Ce jour-là, il avait fortement critiqué cette idée répandue qui voudrait que le fils suive les pas de son père. Il avait exprimé sa désapprobation, après Sidy Diagne (Excaf) et Birane Ndour (Gfm), d’être le troisième sur la liste. « Ce n’est ni mon rêve ni mon ambition d’être Pdg de Wal fadjri, a-t-il botté en touche. (…) Je ne suis pas candidat, j’ai d’autres ambitions. Je compte servir mon pays autrement. »
Selon lui, il doit avoir au moins trois générations entre celui qui a créé l’entité et l’arrivée de son descendant direct. Une position qui se comprend si l’on sait l’idée qu’il se fait du groupe. « Wal fadjri n’est pas une entreprise purement commerciale comme les autres, il a une idéologie, une philosophie. Wal fadjri est un combat », affirme-t-il. Son oncle Ahmet Khalifa Niass appréciera.
Aussi, Cheikh Niass considère l’héritage médiatique du père comme « un patrimoine national qui ne saurait être réduit à une affaire de famille ». Il en veut pour preuve les « mobilisations populaires à chaque fois que Walf a été attaqué ». C’est pourquoi Niass fils se dit meurtri d’avoir été indexé, lorsque la direction générale de Walf avait pris la décision de se séparer d’une quarantaine de travailleurs en 2016. Des bruits de couloir, se souvient-il, il revenait que c’est lui qui a tout fomenté en se préparant, par le truchement de sa structure CNP, à prendre les rênes de la maison. « Aujourd’hui, on est en 2018 et il n’y a rien. Je suis devenu avocat et ce que je gagne là-bas, Walf ne peut pas me payer la moitié », s’amuse-t-il.
Même s’il ne laisse rien paraître, le fils de Sidy Lamine est au cœur de Walf. Des travailleurs du groupe, interrogés par Seneweb, n’ont pas voulu témoigner, car se souvenant à peine du « gamin en sandales, toujours souriant et courtois » qu’ils voyaient passer de temps à autre. Sauf que devenu adulte il joua, incognito, auprès de son père le rôle de conseiller juridique officieux.
« Son père le consultait sur énormément de choses. Il était très impliqué dans le fonctionnement et l’orientation stratégique de Walf, révèle Insa Niass. Il était tenu au courant du fonctionnement quotidien de l’entreprise. On lui confiait même des informations top secret. »
Bref, même si jusque-là il ne brigue pas le fauteuil de son père, Cheikh Niass semble taillé pour le poste. D’autant qu’il claironne qu’il « sera toujours là pour veiller sur le groupe ». Et qu’il avait déjà esquissé, bien avant le décès de son père, le portrait-robot du futur patron de la boîte : « Celui qui voudra succéder à Sidy Lamine Niass doit avoir trois qualités : éthique, compétence et patriotisme. »
Aujourd’hui que le départ du fondateur laisse un vide et suscite des appétits, il est évident que Cheikh Niass sera plus que jamais au cœur de l’entreprise. La seule équation est de savoir s’il va rester à l’ombre ou se projeter devant les caméras. On a essayé de lui poser la question par téléphone, à défaut d’avoir avec lui l’entretien traditionnel pour le portrait. Sa réponse est nette : « J’ai été trop exposé sur le plan médiatique. Je souhaite limiter ma communication. » Un non poli, mais ferme.
Auteur: Babacar WILLANE – Seneweb.com
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Manifestations: Le Chef de l’Etat va recevoir des représentants d’organisations de jeunes et de mouvement de jeunesse
Publié il y'a
4 ans ..Date :
11 mars 2021
Le chef de l’État, Macky Sall, recevra « prochainement » des représentants d’organisations de jeunes et de mouvements de Jeunesse. Il en a informé le Conseil des ministres, ce mercredi 10 mars. Ce, après avoir annoncé une batterie de mesures en faveur des jeunes. Sortis en masse, la semaine dernière, ces derniers ont violemment manifesté leur mécontentement contre sa politique en la matière.
Abordant la question liée à l’accélération de la relance de l’économie nationale, de l’intensification de l’exécution du PSE/Jeunesse, du financement et de l’emploi des jeunes, Macky Sall a indiqué que « le PAP2A/PSE et le budget de l’Etat seront profondément revus, au regard des nouveaux impératifs, enjeux et urgences signalés. »
Avant d’insister sur « l’urgence de la réorientation des priorités autour de la Jeunesse », soulignant que « dans cette perspective, que sur la période 2021-2023, outre les emplois salariés et les recrutements importants prévus dans plusieurs secteurs, c’est 350 milliards FCFA au moins, qui seront mobilisés pour le financement des jeunes et des femmes. »
« Ces ressources publiques exceptionnelles, vont financer la première phase de la mise en œuvre du Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socio-économique des jeunes, à raison de 150 milliards pour l’année 2021, 100 milliards pour 2022 et 100 milliards pour 2023 », a ajouté le Communiqué du Conseil des ministres. Dans lequel le Chef de l’État a exhorté, « dans cette dynamique, le secteur privé, à développer une Initiative complémentaire de soutien à l’emploi et à l’insertion des jeunes à l’image de la Convention « Etat- Employeurs ». »
Il a demandé, en outre, au Gouvernement, « d’accentuer la mobilisation générale pour accélérer la réalisation des 45 Centres départementaux de formation professionnelle, et des 45 Maisons de la Jeunesse et de la Citoyenneté. » Également, aux Ministres en charge de l’Emploi et de la Jeunesse, en relation avec le Ministre des Finances et du Budget et les autres ministres concernés, « de préparer minutieusement la tenue, au plus tard le 10 avril 2021, du premier Conseil national pour l’Insertion et l’emploi des jeunes. »
Enfin, Macky Sall a rappelé que le ’’Fast Track’’, doit « plus que jamais être une réalité dans la mise en œuvre des projets et programmes du PSE et particulièrement le PSE/Jeunesse. »
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People: A la découverte de Malick Diabou Seck
Publié il y'a
6 ans ..Date :
22 juillet 2019Par
Mamadou diagaInfos regions
Rencontre avec l’icône de la littérature Saint-Louisiane : Entre ombres et lumières
Publié il y'a
6 ans ..Date :
20 juillet 2019Par
Mamadou diaga
Il s’appelle Louis Camara. Il est écrivain. En 1996 il a remporté le « Grand prix du Président de la République pour les lettres » avec son livre intitulé » « Le choix de l’Ori » qui fait aujourd’hui partie des œuvres littéraires au programme des classes de seconde des lycées du Sénégal. Il est également lauréat du « Prix de la meilleure nouvelle de la fondation Léopold Sédar Senghor » en 1998 et a été fait chevalier des palmes académiques de la république française en 2013.
Sa bibliographie d’auteur comporte actuellement une dizaine d’ouvrages de fiction et bien qu’étant à la retraite depuis une dizaine d’années, il poursuit inlassablement son travail de création littéraire. Mais Louis Camara est aussi un chercheur comme il nous le dit lui-même : « Si j’évoque la recherche, c’est parce que la pratique de l’écriture littéraire m’y a conduit presque naturellement dans la mesure où c’est par le biais de ce que les critiques appellent la « réécriture » et « l’intertextualité » que je suis arrivé à la création littéraire.
Il ne faut pas non plus oublier « l’aspect culturel important qui irrigue une bonne partie de mon œuvre et qui lui vient de ce qu’elle tire son origine de la mythologie du peuple yorouba. »Et en effet, au fil des ans, Louis Camara est devenu un véritable spécialiste (même s’il n’aime pas beaucoup ce mot) de la culture, des mythes et de la littérature yorouba. Il se sent proche d’écrivains comme Amos Tutuola, Wole Soyinka, le prix Nobel de littérature et D.O Fagunwa, le premier écrivain en langue yorouba dont il a adapté les œuvres en français. Tous ces éléments confèrent donc à l’œuvre de Louis Camara une originalité certaine et une place tout fait à part dans le paysage littéraire Sénégalais.
Ce n’est aujourd’hui plus un secret pour personne que Louis Camara est un chantre de la culture yorouba, ce qui lui a valu le surnom de « Conteur d’Ifa » dont il est par ailleurs très fier. « Mes livres sont une porte d’entrée pour accéder à la culture yorouba, une grande culture africaine. En les écrivant je pense avoir contribué d’une certaine manière au panafricanisme culturel et littéraire. » assène t-il avec conviction.
Ainsi l’écrivain est très heureux de voir ses œuvres lues et étudiées par les jeunes élèves Sénégalais qui de la sorte enrichissent leur imaginaire avec des éléments authentiques de la culture africaine.
Voilà qui n’aurait pas déplu à Cheikh Anta Diop et à Léopold Sédar Senghor deux personnalités intellectuelles pour lesquelles l’écrivain a une grande admiration. Mais la palette littéraire de cet écrivain protéiforme ne se limite pas au seul monde yorouba. En effet, ce fier Saint-Louisien, très attaché à sa ville natale, qui lui colle à la peau, est aussi l’auteur d’ouvrages à caractère plus « réaliste », ouvrages du terroir pourrait on dire, comme « Il pleut sur Saint-Louis » ou encore « Au dessus des dunes » ou « La fille de Mame Coumba Bang » qui décrivent l’environnement sociopolitique Sénégalais et plus spécifiquement Saint-Louisien.Quittant les hauteurs de l’olympe yorouba, l’écrivain jette un regard sans complaisance sur sa propre société, un regard souvent caustique dans un style humoristique voire satirique dont il fait usage avec une grande aisance. Écoutons ce qu’il nous dit à ce sujet : « L’écrivain n’est pas un être désincarné, inodore, incolore et sans saveur. Il est un membre à part entière de sa société et en tant que tel il a des responsabilités par rapport à cette dernière. Il lui est loisible partager ses opinions à travers ses œuvres ce qui ne fait bien sûr pas forcément de lui le militant d’une cause, d’une idéologie ou d’un parti politique. Il ne sert à rien de vouloir se réfugier dans une tour d’ivoire, même si c’est son droit le plus absolu. Néanmoins je pense qu’en définitive la seule cause qui vaille pour l’écrivain, c’est celle de la littérature. »Écrivain inspiré, curieux de tout, Louis Camara est, dans la vie de tous les jours, un homme d’une extrême simplicité, plein d’humour et très apprécié de ses concitoyens qui l’appellent affectueusement « Monsieur l’écrivain ».
C’est aussi un homme de foi, attaché aux valeurs d’humanisme, à la justice sociale, au respect d’autrui, à la paix et à la liberté sous toutes ses formes. Mais qui pourrait deviner que derrière le sourire engageant de cet homme aimable se cache aussi une profonde amertume, une déception incommensurable par rapport à la société dans laquelle il vit ?
A moi; Kharachi, qui suis son ami de longue date, je dirais même son frère, Louis a confié ses griefs et sa frustration face à l’injustice dont il estime être l’objet. De sa propre bouche j’ai appris que la littérature dans laquelle il s’est tant investi ne lui a jamais rien rapporté en termes d’avantages financiers et matériels, même si elle l’a fortifié sur le plan intellectuel et spirituel.
Selon lui les maisons d’édition ne s’acquittent pas ou trop peu du règlement des droits d’auteur et ne respectent pas les termes des contrats qui les lient aux auteurs dont elles ne font pas la promotion ni n’assurent correctement la diffusion de leurs œuvres. « Mon cher Mbagnick, dans ce pays il y a surtout des écrivains qui écrivent en vain » m’a-t-il dit un jour sur un ton d’humour désabusé. Louis m’a également fait part de ses difficultés matérielles du moment ainsi que de l’état de précarité dans lequel il se trouve après que sa maison se soit effondrée il y a de cela quelques années. Le coût des travaux de restauration étant trop élevés pour lui, il s’est donc vu obligé de vivre en location avant de se faire héberger chez son beau-père où il se trouve présentement. Tout cela n’est pas de nature à lui faciliter la tâche et pèse négativement sur son travail de création littéraire.
« Je ne peux même pas me payer un bon ordinateur et je suis obligé de travailler dans les cybercafés » me dit-il encore d’un ton de tristesse. Il se plaint de l’indifférence à laquelle se sont habitués les artistes, écrivains et autres poètes ainsi que la majorité des intellectuels qui ne font que « se gargariser de bons mots et faire des promesses qu’ils ne tiennent jamais. »Ne parlons pas de la jalousie, de la méchanceté, de l’hypocrisie, de l’opportunisme et même du clientélisme politique qui règnent dans ces milieux pseudo-littéraires. Pour illustrer ses propos, Louis me raconte qu’il y a deux ans de cela, à l’occasion de la journée mondiale du théâtre au théâtre national Daniel Sorano, son œuvre « Le choix de l’Ori » avait été mise en scène et jouée par de jeunes et talentueux comédiens en présence du ministre de la culture Mbagnick Ndiaye. Mais lorsqu’il s’est agi de parler de droits d’auteur avec la direction du théâtre, on lui a fait comprendre qu’il n’en était pas question et pire, la pièce qui avait pourtant fait un tabac, avait purement et simplement été éliminée du répertoire des œuvres du théâtre Sorano, au grand dam des jeunes comédiens qui l’avaient interprétée. « Tout cela est bien dommage. Les arts, la littérature, le théâtre sont entre les mains de lobbies qui ont malheureusement l’oreille du ministère de la culture » conclut Louis Camara qui reste pourtant convaincu que tout cela va changer avec la nouvelle génération d’écrivains et de poètes pétris de talent qui pointe à l’horizon. Mais « Le conteur d’Ifa » n’entend pas baisser les bras et malgré les immenses difficultés auxquelles il est confronté, il compte parachever son œuvre littéraire et se consacrer, avec encore plus d’engagement, à la littérature qui est sa raison de vivre « pour que rayonnent la beauté et la vérité » pour repr
endre ses propres termes. No comment !
Mbagnick Kharachi Diagne/Chroniques.sn
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