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Minguègne Boye : Une localité où les jeunes ont appris à se fixer définitivement dans leur terroir
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Mamadou diagaNdiadiane Ndiaye, Premier Brack du Walo, qui sortit un jour du fleuve pour partager des poissons entre des enfants et qui se retrouva quelque temps après roi du Walo, puis roi du Djoloff, fait toujours la fierté des 2500 habitants de Minguègne Boye, où son épouse, Baté Boye, avait réussi à le faire parler.
Des cantatrices de gros calibre, des troubadours, griots, aèdes et autres orfèvres de la tradition orale sénégalaise, se sont inspirés de cette histoire intéressante pour rappeler à chaque occasion que ce héros national, Ndiadiane Ndiaye, « Minguègne Boye La-Addo-Woone », ce qui signifie « qu’il aurait parlé pour la première fois après un long séjour dans le fleuve ». Aujourd’hui, il suffit de faire un tour dans cette localité de la commune de Gandon, située à une vingtaine de kms de Saint-Louis, pour se rendre compte qu’il fait bon vivre dans ce patelin. Grâce aux revenus tirés du maraîchage, de l’élevage domestique, de l’aviculture, de la pêche continentale, les jeunes de Minguègne parviennent progressivement à se fixer définitivement dans leur terroir. Selon l’actuel chef de village par intérim, Idrissa Boye dit Ideu, fils de l’ancien chef de village, Mbaye Ciss Boye, décédé récemment, « les jeunes de ce village n’ont pas la phobie de l’étranger et ne s’intéressent pas à l’émigration clandestine et à l’exode rural car, ils ont tout ce dont ils ont besoin sur place pour travailler, gagner honnêtement leur vie à la sueur de leur front ». …..
Notre chauffeur a enfin fini d’éviter les obstacles avec adresse. Cette matinée est splendide sur la piste latéritique qui permet de rallier Minguègne à partir de Ndiawdoune. De loin, ce gravillon scintille de son rouge grenade lorsque les rayons solaires se reflètent sur ses cristaux. Ce mercredi de juin 2019, le parfum des feuilles de Nguer se dissipe dans cette masse d’air chaud d’été qui nous égratigne l’épiderme. Après avoir passé en revue les villages de Sanar, Diougob, Ndiawdoune, on est impressionné, avant d’accéder au village de Minguègne Boye, par la nature simple et verdoyante, qui est en harmonie avec un tapis herbacé plus ou moins fourni et qui se déroule à nous couper le souffle. Dans cette partie du département de Saint-Louis, les images insolites se déplacent à tout bout de champ, les autotrophes (les végétaux chlorophylliens) et les hétérotrophes (les hommes et les animaux) s’épanouissent, les paysans sont accueillants et présentent une mine joviale. Ici, la nature est marquée par une strate arborée et arbustive, bien entretenue par les populations. Dans ce milieu, le souci d’une éducation relative à l’environnement a émergé d’une prise de conscience, à L’échelle locale, de la détérioration de l’environnement et des problèmes qu’elle engendre. Les habitants de Minguègne ne badinent pas avec toute activité relative à la coupe abusive des arbres et à l’exploitation anarchique du bois de chauffe. Le chef du village, Ideu Boye, très instruit, déplore avec véhémence le fait que la nature, dans notre pays, soit régulièrement agressée par des personnes mal intentionnées et égoïstes, qui ne cherchent qu’à mettre de l’argent, de manière illicite et sans arrière-pensée, dans leur poche. Ideu nousrappelle que la dégradation de l’environnement, résulte souvent de l’action des sociétéshumaines, qui a atteint de telles proportions que l’avenir de la terre est menacé. Ainsi, Pour satisfaire notre curiosité, nous progressons vers Thileu Boye, Goback, Seulguire Diagne, Tééf, Ndialakhar, etc. On mène une vie tranquille dans ces villages qui abondent en légendes vivantes et fascinantes. En forme de damiers ou autres carreaux égaux, ces acacias qui séparent ces localités, invitent au dépaysement. Au-delà des chênes et des genets, où le vent, les oiseaux et les insectes dispersent des graines de pollen, s’élèvent les pentes boisées qui déroulent leurs méandres autour de ces habitats sommaires, qui contrastent par endroits avec quelques constructions modernes et futuristes. Cet espace vital très particulier déroule sa belle carte avec un style romanesque. Au point de se laisser caresser par un soleil radieux, ardent. Ses vastes prairies font le bonheur du visiteur. On y vient pour se reposer loin de la foule et au milieu des magnifiques touffes d’herbes et de » Nguer « . L’été s’installe déjà dans cette partie du Walo des profondeurs, avec son soleil lourd, sa forte canicule éprouvante. Ce matin, il est très amusant d’observer la course des nuages prêts à nous envoyer le maximum d’averses. Il fait bon vivre dans cette localité, loin de l’hypocrisie des villes. Il est 12 h 30. Retour vers Minguègne. Des champs s’étendent à perte de vue. Une forte odeur de viande boucanée mêlée à celle du monoxyde de carbone, emplit l’atmosphère. A bord de notre véhicule, nous interpellons Adama Sène Boye et Modou Gaye, deux jeunes ouvriers agricoles et leurs épouses, vautrés dans les mauvaises herbes, qu’ils veulent à tout prix séparer des cultures. Présentant leur dos aux rayons du soleil incandescents, l’échine courbée, ils manipulent la pioche et la bêche avec une dextérité remarquable. Le front trempé de sueur, ruisselant, ils se relèvent pour nous inviter à partager cette grillade de chevreau qui leur sert de déjeuner. Sans protocole, ils nous demandent d’intercéder en leur faveur auprès du Gouvernement en vue de pouvoir bénéficier d’un projet de bitumage de cette piste de 5 kms qui dessert Minguègne Boye. Dans cette zone paisible et émouvante de simplicité, une belle vue panoramique du paysage nous ouvre les yeux sur la réalité. Très haut, dans un ciel sans ombre, ce vent fort fait vibrer l’ensemble des éléments de cette strate arborescente. Ici, comme dans d’autres écosystèmes forestiers tropicaux, la strate herbacée est constituée essentiellement de graminées, des plantes à fleurs, de fougères, ainsi que de petits végétaux ligneux sous-arbustifs. Hauts comme des piliers de cathédrale, des troncs d’arbres géants et âgés, présentant une écorce ambre ou blanchâtre, enveloppent certaines habitations modestes et nous renseignent sur l’importance du règne végétal dans ce milieu. Déjà lourd de soleil, l’air est quasi inamovible. Tantôt, crissant d’une multitude d’insectes enquiquinants qui nous agressent dans le véhicule. Une chaleur d’étuve nous fait suer à grosses gouttes. Une fine poussière rouge nous fouette sans cesse le corps en nous obstruant les voies respiratoires. Ici, la nature fluctue au gré du vent, des intempéries et des changements climatiques. Caustiques et sarcastiques, trois autres jeunes cultivateurs domiciliés à Ngaye répondent, sans ambages, à nos questions indiscrètes, nous faisant comprendre qu’ils sont prêts à travailler dans les champs jusqu’à se casser les reins. Parce que, tout simplement, ils préfèrent mourir dans la dignité que d’être réduit à la mendicité dans les grandes villes ou autres centres urbains. Ici, cette strate arborescente peut inciter tout écrivain à taquiner la muse (écrire des romans, des poèmes, des pamphlets, des textes en prose ou en alexandrin, etc). On y retrouve toutes sortes d’espèces végétales qui, dans unsavant enchevêtrement, délimitent cette forêt dense d’acacia qui change d’aspect au fur et à mesure que nous progressons vers Minguègne. Trempés de sueur, nous sommes accueillis chaleureusement par le chef du village, Idrissa Boye dit Ideu. Il commence d’abord par nous expliquer la fameuse histoire de Ndiadiane Ndiaye, précisant par cette même occasion que l’actuel Directeur Général Adjoint du Quotidien national « Le Soleil », Amadou Gaye Ndiaye, illustre et digne fils de cette localité, fait partie des descendants de Ndiadiane Ndiaye. Avec fierté, il nous fait comprendre que ce héro national est fils d’un chérif almoravide et qu’il s’appelle réellement Amadou Aboubakar Ibn Omar.
Terre bénie
Selon Ideu, Minguègne est une terre bénie. Le robinet est présent dans tous les foyers, le village est connecté au réseau électrique, les populations s’activent de toutes parts pour mener des activités génératrices de revenus dans les domaines du maraîchage, de l’élevage domestique, de l’embouche bovine et ovine, de l’aviculture et de la pêche continentale. Des informations confirmées par le jeune Birane Diop Boye, ouvrier agricole et son cousin Daouda Gaye, pêcheur, qui affirment que ce village produit des quantités importantes d’arachide, de patates douces, de pomme de terre, d’oignon, de gombo, de tomate industrielle, de pastèques, melons et autres fruits et légumes. Si les camions gros porteurs ne viennent pas enlever la production, ont-ils souligné, « les commerçants et autres bana-bana n’hésitent pas à nous trouver dans les champs pour marchander avec nous ». Nos interlocuteurs ont laissé entendre que le sol de Minguègne est fertile et qu’il suffit tout simplement d’utiliser l’eau du fleuve pour irriguer ces parcelles maraîchères. Avant le crépuscule, ont-ils poursuivi, les pêcheurs proposent aux populations des carpes, tilapias, des « poisson capitaines », Ndiaguel, Guélakh et autres espèces de poisson d’eau douce. Autant de raisons et de conditions de vie favorables, pour lesquelles, nos braves et paisibles concitoyens de Minguègne Boye ne se plaignent jamais.
Difficultés
Selon Idrissa Boye, Minguègne est aussi célèbre pour les pouvoirs mystiques de ses premiers habitants ; un mode de défense contre l’oppression des colons et la razzia des rois. « Dans le passé, certains rois et autres colons venaient souvent dans le village et cherchaient à humilier les habitants pour une raison ou une autre. Pour faire face, les villageois s’attaquaient à eux de façon mystique ; on demandait à un tel de s’occuper de la tête, un autre prenait en charge les jambes. De sorte qu’une fois arrivées, les personnes mal intentionnées tombaient malades sans savoir pourquoi. Mais, aujourd’hui, quiconque est animé de bonnes intentions, peut entrer et sortir de Minguègne Boye sans problème ». Cependant, a-t-il précisé, le fait que les autorités administratives évitent toujours de fouler le sol de ce village, accentue l’enclavement de ce terroir qui est plus ancien que la ville de Saint-Louis, de 750 ans. Même si nous avons toujours nos prières, nos connaissances mystiques, notre savoir-faire, « nous avons besoin aussi de financements pour les jeunes et les femmes, de moyens de transports pour nos élèves qui fréquentent régulièrement le Cem de Ndiawdoune, de bénéficierd’un bon projet de bitumage de la piste principale qui permet de rallier ce village ». Un appui consistant despouvoirs publics et de leurs partenaires, pourrait permettre également de finir lestravaux deconstruction de la grande mosquée du village. Il y a de l’électricité dans les foyers, mais les rues ne sont pas encore éclairées. Quant à la case de santé, elle a été construite par Plan/Sénégal depuis une trentaine d’années. Rotary-club y a aménagé une salle de soins et nos partenaires lillois (des étudiants lillois en médecine) ont complété les équipements. Ce qu’il nous faut aujourd’hui, « c’est de trouver des partenaires qui peuvent nous aider à prendre en charge le salaire mensuel de l’infirmier qui travaille dans cette structure sanitaire. Le daara du village a besoin aussi d’un projet de réhabilitation pour se moderniser.