Un coin constitutionnel oublié par le Président
de la République dans la réforme de l’Administration : la gestion des
ressources humaines au sommet de l’Etat
Gestion
des ressources humaines au sommet de l’Etat. Ce sujet se présente, à première
vue, entre deux mondes, totalement différents, que tout oppose. En effet, la
gestion des ressources humaines, considérée comme l’apanage du secteur privé,
même si on a pu noter son entrée avec fracas dans les administrations
publiques, rares sont les études qui se sont consacrées à l’apprécier au sommet
de l’Etat en Afrique.
Pourtant,
il serait hasardeux de considérer que la
gestion des ressources humaines au sommet de l’Etat n’a pas une importance
décisive dans la manière de gouverner et de conduire de façon efficace la
gestion des affaires publiques. A ce titre, l’organisation et l’aménagement
du pouvoir d’Etat n’échappent pas à la gestion des ressources humaines ; elle
en constitue d’ailleurs l’un des enjeux les plus importants.
Il faut, toutefois, préciser que la
spécificité du secteur public tient à ce que ses ressources se consacrent à une
mission de service public, au service exclusif de l’intérêt général et des
citoyens, ce qui justifie la « situation juridiquement protégée » ou « état »
dont bénéficient ses agents. C’est
précisément en raison de cette spécificité de la vocation des ministres et des
hauts agents publics d’être au service du public que se dessinent les
évolutions les plus importantes à retenir pour cet « état ».
Il faut rappeler que les échelons supérieurs sont essentiels à l’Administration. Les agents situés à ce niveau doivent non seulement être compétents, mais ils doivent aussi impulser la dynamique au niveau des autres services publics. Derrière les controverses, apparemment techniques, portant, par exemple, sur les problèmes de délimitation du champ d’application des règles de compétences du Président de la République, se profilent des enjeux idéologiques et politiques plus généraux relatifs aux choix des structures, des personnes et des profils adéquats pour conduire les réformes majeures, profondes et durables. En l’occurrence, ces enjeux sont amplifiés par un ensemble de mutations qui affectent la position et le rôle du chef de l’Etat dans la vie sociale : la préoccupation principale du Président de la République devrait chercher à adapter ses choix à ces mutations. C’est pourquoi l’impensée de la gestion des ressources humaines au sommet de l’Etat (I) devrait permettre de dégager des pistes pour une meilleure appropriation de la question (II).
1.L’impensée de la GRH au sommet de l’Etat
Un
constat quasi général s’impose à tous les observateurs avertis : les chefs
d’Etat africains échouent, pour la majorité d’entre eux, dans la gestion des
ressources humaines au sommet de l’Etat! Ils font, souvent, de mauvais choix humains,
pendant tout le temps qu’ils restent au pouvoir. Pourtant, il faut
savoir que pour un agent de l’Etat, l’éthique dans l’acte de décider est
d’autant plus important qu’il n’est pas un travailleur comme les autres, en ce
sens qu’il a des supérieurs hiérarchiques et des subordonnés, qu’il formule des
instructions, obéit à des directives présidentielles ou ministérielles, pour
décider, motiver ses décisions. Ces trois contraintes sont le respect du droit
(en vertu du principe de légalité), la soumission aux exigences de son statut
(obligation de se conduire en tout comme un digne et loyal agent public), un
management stratégique (obligation de dégager des stratégies dans le cadre d’un
contrôle des résultats).
Au
sommet de l’Etat, du point de vue des choix des ministres, par exemple, il est
certain que les remaniements ministériels sont parfois même beaucoup plus cruels
que les mouvements du personnel en entreprise. S’ils sont la plupart du
temps acceptés, c’est par des sourires de façade, tant ils sont devenus une
spécificité de nos pays. Leurs interventions sont souvent sous-tendues par des
convenances personnelles pour certains ou par le simple fait du prince pour
d’autres. Bref, le plus souvent, c’est le « monarque républicain »
qui change sa cour, sans se soucier des compétences et /ou de l’esprit
républicain. A ce niveau, la valse de nos ministres est même devenue un sujet de
moquerie. Ces conséquences se prolongent vers une perte vertigineuse de
tout le symbole qui permettait de draper la fonction de ministre du sceau d’une
charge très lourde, maintenant galvaudée. Son excroissance qu’est la notion de
ministre-conseiller dénature la fonction et obscurcit le statut. La cohérence
de l’organigramme gouvernemental est de facto éclatée. A preuve, la répression
pénale des ministres fait l’objet de règles particulières, formulées pour
l’essentiel dans la Constitution elle-même (article 101). C’est là précisément
que se trouve un des sérieux problèmes : pour les actes commis dans
l’exercice de leurs fonctions, les ministres conseillers sont-ils justiciables
devant la Haute cour de justice ? Il serait nécessaire de réviser la
Constitution en permettant à la Cour
d’Appel de Dakar – ou à une des cours d’appel que compte le Sénégal – de
statuer sur toute action publique déclenchée contre un ministre, étant entendu
que l’arrêt de la cour d’appel serait susceptible d’un pourvoi classique devant
la Cour de suprême. Si l’infraction qui justifie les poursuites a été commise
dans l’exercice des fonctions ministérielles, c’est la cour d’appel de Dakar
qui serait seule compétente. En revanche, lorsqu’il s’agit de juger un ministre
pour une infraction commise en dehors de l’exercice de ses fonctions, les cours
d’appel du lieu de l’infraction, celle de la résidence du prévenu et celle du
lieu où le prévenu a été trouvé seraient également compétentes. Toutefois, il
serait nécessaire de rappeler que s’il est certain que le fait d’accepter qu’un
ministre puisse être librement poursuivi, à l’initiative de n’importe qui,
n’importe quand et dans n’importe quelles conditions, bref sans aucune
précaution, c’est accepter le risque d’« acharnements partisans ». Sauf à
considérer, stricto sensu, comme ministre les membres du gouvernement, il s’agirait,
à contrario, d’une vaste question ! Ce
phénomène est l’une des causes principales du retard de nos pays. C’est
pourquoi l’ancien premier Ministre burkinabé, Luc Adolphe TIAO, avait pu
déclarer que «la gestion des ressources
humaines (…) est une fonction déterminante pour l’apaisement de la situation
sociale et pour la création d’un environnement favorable à la mise en œuvre des
politiques de développement ». Son propos permet de préciser que la
question de la gestion des ressources humaines est au cœur de plusieurs
tensions sociales dans les Etats africains, parfois au centre de toutes les
problématiques républicaines.
Dans la haute administration, les pratiques non orthodoxes font germer des sentiments de dégoût et de révolte chez les hauts fonctionnaires, les serviteurs et grands commis de l’Etat, parfois même chez les populations. Les dérives dans la gestion du personnel administratif, professionnel et technique sont lésion : une certaine dose de politisation dans les nominations et une certaine dose de manque de considération à l’égard des agents de l’Etat font que les nominations interviennent dans des conditions parfois même de légalité douteuse. La plupart du temps, ces manquements ne peuvent être dénoncés et le cas français en fournit un mauvais exemple. En France, dans la fonction publique territoriale, la parution d’un ouvrage très critique et ironique sur la gestion des ressources humaines au sein d’une région a valu à son auteur – une administratrice – une suspension et des poursuites disciplinaires en raison d’un manquement à son obligation de réserve (Z. Sheppard, Absolument débordée ou le paradoxe du fonctionnaire, Albin Michel, 2010).
2.Les voies d’une vraie GRH au sommet de l’Etat
Outre
le choix des ministres, l’opportunité de la création des ministères
doit être sous-tendue par une démarche réflexive, ce qui implique de redéfinir la gestion déconcentrée
de l’État et de renforcer le contrôle de gestion dans les services. Cette approche devrait passer par une réforme majeure
de l’administration centrale, des ministères, notamment par l’amélioration de
la qualité du service rendu aux directions, aux services déconcentrés, ainsi
qu’aux agents des ministères en renforçant de façon pragmatique les capacités
de pilotage stratégique et de coordination transversale des secrétariats
généraux.
Les règles
constitutionnelles, législatives et réglementaires comportent à priori autant
d’éléments permettant une bonne gestion des ressources humaines au sommet de
l’Etat. Les éléments de bonne gestion
se trouvent dans toute la rigueur du respect des procédures et des règles en
matière de nomination (comme le respect de la séparation des pouvoirs et la
rigueur des enquêtes sur les personnes intéressées). Certaines nominations à de
hautes responsabilités, (ministres, directeurs généraux), devraient
impérativement passer par un appel à candidature ou d’une validation par
l’Assemblée Nationale, après audition des personnes nommées. Ces procédures
observées scrupuleusement devraient permettre de revaloriser la fonction de
contrôle du Parlement et de récompenser les meilleurs serviteurs de l’Etat,
ainsi que les femmes et les hommes les plus méritants de notre République.
Elles pourront, à cet effet, apporter de nouvelles clarifications sur les liens
entre l’administration et le pouvoir politique.
L’adéquation
entre politique publique et structure administrative est loin d’être acquise :
des adaptations de structures administratives seraient nécessaires. Par
ailleurs des vacuités peuvent être constatées. La réflexion stratégique pour
définir les secteurs où il est pertinent de créer des missions
interministérielles en fonction des compétences réparties entre les membres du
gouvernement n’est guère amorcée. Pour les services polyvalents et les
fonctions support, il n’y a pas encore de doctrine clairement affichée. Que
convient-il de faire des services et des agents dont l’organisation et/ou les
compétences rendent difficile leur répartition entre programmes fonctionnels. A
ce niveau, il existe même une défaillance de l’Assemblée Nationale, puisque la
commission des finances de l’Assemblée nationale n’a donné aucune orientation
pour la quasi-totalité des programmes gouvernementaux, même si son intervention
suggère un balisage raisonnable entre le souhaitable et le possible. Par
ailleurs, la sensible question des actions territoriales de nature
interministérielle n’a fait l’objet d’aucun arbitrage précis. On n’a pas jugé
nécessaire de renforcer la L.O.L.F. pour y introduire des programmes territoriaux
interministériels et on a retenu la possibilité de constituer un programme
d’interventions territoriales de l’État susceptible d’isoler les crédits des
politiques prioritaires au niveau territorial nécessitant un haut degré
d’intégration interministérielle.
Il
serait intéressant de terminer par le management des ressources humaines au
sommet de l’Etat. A ce propos, un changement de paradigme oblige de passer du
management des moyens au management par objectifs. Ce changement de paradigme
pourrait créer une mutation essentielle : la gestion des résultats. C’est
pourquoi il urge de prendre la mesure des efforts qui restent à accomplir dans
l’organisation et la gestion de l’administration afin de parvenir à la mise en
œuvre efficace des réforme. Pour réformer l’Administration, une vraie
révolution et un redressement s’imposent de façon évidente. La mise en place
d’un « Etat exemplaire » est un processus de tous les jours qui ne se décrète
pas. Elle ne se trouve nulle part ailleurs que dans l’encadrement supérieur de
l’Etat, notamment des pouvoirs de nomination des gouvernants. En effet, le
Sénégal a connu des avancées de profondes transformations qui nécessite une
nouvelle approche dans la gestion du pouvoir, notamment par des femmes et
hommes sensés conduire les destinés de l’Etat. Il s’agit d’un effort qui
s’impose aux gouvernants. C’est possible et on peut le faire!
Propositions :
(Pour une nouvelle rédaction des articles 45 et 46 de
la Constitution) : « Dans l’esprit républicain, le
Président de la République nomme à tous les emplois civils et militaires ».
La précision est importante. Ce serait un premier
début de démocratisation des pouvoirs de nomination du Président de la
République. Cela pourrait nous épargner de nominations partisanes, familiales,
etc.
Mouhamadou Ngouda MBOUP
Enseignant-chercheur
de droit public FSJP/UCAD
Consultant
You must be logged in to post a comment Login