Sidy Lamine Niasse s’en est allé. Non pas sur la pointe des pieds, tout doucement et sans à coups, comme le souhaite le commun des mortels, mais avec la brutalité d’une crise cardiaque qui s’est imposée, mettant un terme à toute prévision du lendemain.
Quelle sera sa trace dans l’Histoire de la Presse au Sénégal ? Assurément, elle ne sera pas quelconque. Au contraire, cette trace sera remarquable, comme l’Homme lui-même, sa vie et les combats qu’il a menés sur les nombreux fronts de son existence professionnelle et politique.
Je l’ai rencontré physiquement, par deux fois, avec quelques années d’intervalle, les deux fois toujours au départ du salon d’honneur de l’aéroport de Dakar Yoff ; la dernière fois, fin 2017, et à chaque fois, l’homme est spontanément venu, avec simplicité, sans hésitation ni formalité, prendre langue et entreprendre une conversation un peu difficile avec le type quelque peu réservé et naturellement formaliste qu’est votre serviteur. Rompant ainsi, à chaque fois, par ces deux fois, avec l’image du soudard va-t-en guerre, du gladiateur ou du bretteur que bien de sénégalais ont bien voulu lui donner et qu’il gardera sans doute pour la postérité. Nous avions, à chaque fois, échangé nos cartes de visite, nous promettant de nous appeler. Ce qui n’a jamais été fait. De quoi avions nous parlé ? Peut-être de la pluie et du beau temps certainement, je ne m’en souviens plus, à vrai dire, sauf du port de Kaolack auquel, à ma grande surprise, il semblait très attaché et porter un intérêt personnel. Si je ne me souviens plus de l’objet de nos brèves conversations, mis à part le port de Kaolack, je me souviens très bien, en revanche, de l’homme au regard pénétrant et à la voix invitant à échanger, à partager et à communiquer. Un regard exprimant le grand intérêt qu’il a pour votre personne et qui, en cela, est de nature à faire tomber nombre des barrières psychologiques que nous dressons pour notre propre défense,
et une voix douce et appliquée, presque laborieuse ou faussement laborieuse, détachant chaque syllabe avec netteté, de nature à être bien entendue par son interlocuteur. Un ensemble, regard et voix, de communicateur naturel auquel il est difficile de résister. Sidy Lamine Niasse a dû être déçu par son interlocuteur de ces deux fois : un être doué de dons naturels peu communs pour l’échange, le partage et la communication, en face d’un fonctionnaire formaté par des décennies de la fameuse obligation de réserve si chère à l’espace public et, donc, naturellement et presque toujours sur ses gardes ! J’espère qu’il n’a pas gardé un trop mauvais souvenir de moi. Moi, au contraire, j’ai gardé un excellent souvenir de l’homme charismatique et célèbre, qui me regardait curieusement, comme s’il guettait chacun de mes faits et gestes. Sans que je sache très bien, encore aujourd’hui, si cette curiosité était à mon avantage ou à mon désavantage. Quoi qu’il en soit, si je n’ai pas eu le cran de soutenir une communication non encadrée avec ce communicateur inné, combien de fois l’ai-je, par contre, suivi à la télé, confortablement installé devant mon écran et appréciant sa façon cartésienne ou dialectique, bien à lui, de présenter ou de conclure les choses à son avantage, d’orienter doucement mais fermement les débats là où il voulait qu’ils aillent et non pas là où ses malheureux interlocuteurs voulaient.
Les sénégalais se souviendront du redoutable débateur, à l’intelligence souple et vive, ne perdant jamais le nord au cours des débats, guettant sans en avoir l’air la moindre faille dans les exposés de ses vis-à-vis, s’engouffrant alors immédiatement dans la brèche ainsi ouverte par un interlocuteur imprudent ou à court d’arguments, et l’assommant d’une remarque finale sans appel, mais, malgré cela, comme lui laissant une porte de sortie courtoise, comme pour permettre à cet interlocuteur malchanceux de reprendre le combat sur d’autres points que celui sur lequel il venait de le terrasser, comme s’il voulait lui laisser une seconde chance. Comme s’il n’avait jamais assez de l’échange, du partage et de la communication avec ses contemporains !
C’est connu : devant la mort, nos petites imperfections humaines, qui, de notre vivant, semblaient constituer pour nos adversaires des défauts insurmontables et irréconciliables, reprennent naturellement leur vraie place dans la grande échelle de l’Humanité et sont réduites à leur plus simple expression, laissant la place qui leur revient de droit aux qualités du disparu, qualités niées ou occultées de son vivant.
Ainsi, aujourd’hui, face à cette Vérité définitive qu’est le rappel à Dieu, que voyons nous en Sidy Lamine Niasse, dépouillé des adversités légitimes ou non, des jalousies et des luttes d’intérêt du moment ?
Ce qu’il est, ce qu’il a toujours été, ce qu’il n’a jamais cessé d’être : un homme de communication, désireux de partager savoirs et expériences ; un homme charismatique, doué et courageux, qui a largement et généreusement contribué à la promotion de la Presse nationale et de la plupart de ses grands noms d’aujourd’hui ; enfin, un homme prude, finalement mystérieux, réticent à inviter les curiosités à investir son domaine privé.
Repose en paix, Cher Sidy. Que Dieu étende Sa Main Puissante et Miséricordieuse sur toi.
Yérim Thioube
Président du Groupe FIRMAMENT GROUP.