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Portrait: Elimane Diop, Peintre de pirogues, poète et plasticien

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Situé à l’ouest de Saint-Louis, sur la Langue de Barbarie, Guet-Ndar fait partie des quartiers de pêcheurs de l’Ancienne capitale de l’Afrique occidentale française (Aof). Régulièrement, les pirogues accostent directement sur la plage pour décharger des quantités très importantes d’espèces pélagiques, dont la sardinelle, communément appelée Yaabooye en wolof.

Ces jeunes et braves pêcheurs proposent également aux vendeuses de poisson d’autres produits halieutiques destinés à la transformation. Le visiteur qui débarque ici pour la première fois, est, à coup, sûr, fortement impressionné par ces milliers de pirogues qu’on retrouve sur la plage. Elles sont savamment décorées et bariolées par une acuité de couleurs qui donnent une idée précise de certaines vertus et autres valeurs culturelles véhiculées et perpétuées dans ces différentes communautés de pêcheurs de Gokhou-Mbathie, Santhiaba, Guet-Ndar, de l’hydrobase, du Gandiolais et du Toubé.

 Après le travail du charpentier, qui construit la pirogue, conformément aux instructions et aux directives du propriétaire de l’embarcation, car, c’est ce dernier qui choisit son produit en donnant les dimensions, le tronc d’arbre, les planches, les pointes et les fers, le peintre intervient.

Cette forme de peinture est un art particulier dans le milieu des pêcheurs. Une belle pirogue bien décorée, porte chance, éloigne les mauvais esprits, donne envie d’aller opérer en haute mer.

 Selon Elimane Diop, un orfèvre en la matière, âgé de 41 ans et qui s’est consacré à ce métier pendant trente ans, «  si le propriétaire a la latitude de choisir le nom de la pirogue, l’effigie du chef religieux, du père, de la mère ou d’un parent très proche, qui doit être reproduite sur une façade de la pirogue, « c’est le peintre qui crée les motifs, qui apporte une plus-value à cette commande, en s’inspirant de ce milieu, ensuite, on organise une cérémonie, avant de mouiller la pirogue, c’est l’occasion où les parrains, les marraines, les marabouts qui sont présents pour conjurer le mauvais sort, sont prompts à remettre aux constructeurs, aux peintres ou autres artistes décorateurs, quelques espèces sonnantes, trébuchantes et grisonnantes, ici, c’est rare de voir une pirogue qui ne porte pas de dessins, il faut aussi préciser que de nombreux pêcheurs ne croient pas à ce qu’on raconte sur les symboles qui représentent cette peinture ».

 Elimane Diop est obligé souvent de travailler durant une à deux journées pour décorer une grande pirogue, notamment celle des filets à tourner, spécialisées dans la capture des sardinelles, « je me lève à 7 h du matin, pour terminer mon travail, le lendemain, vers 20 h, je prends la pause pour me restaurer, boire deux verres de thé et poursuivre ce travail pénible, méticuleux, pointilleux, exigeant, laborieux et harmonieux, si on me demande de m’inspirer d’une photo pour la reproduire sur une face de la pirogue, je n’aurais pas droit à l’erreur, il me faut donc une très grande concentration pour accomplir ce travail noble et exaltant ».

 Elimane a embrassé ce métier à l’âge de 6 ans. Il côtoyait son père, qui était un agent de Peyrissac et en même temps, un peintre et un mécanicien d’automobile et de moto.

Après ses études primaires à l’école Gracianet du sud de l’île, il s’est plongé dans cet art, bénéficiant par la même occasion de solides connaissances acquises auprès d’un dessinateur français du nom de Marc, qui n’avait pas hésité à lui apprendre les techniques d’utilisation du pinceau, dans son atelier aménagé à Sindoné.

 Une formation de très bonne qualité, qui lui a permis de réaliser de nombreuses œuvres d’art plastique, d’accompagner d’autres peintres chargés de peindre et de décorer toutes sortes de bâtiment.

 Et comme il est né à Guet-Ndar, il s’est rendu compte que les pêcheurs ne sont pas intéressés, dans leur majorité, à ces tableaux d’art plastique, il s’est focalisé sur la peinture des pirogues, « là, je me frotte les mains et j’enregistre souvent des chiffres d’affaires très intéressants et stimulants, dans ce créneau, nos activités sont florissantes, même s’il faut reconnaître que le travail n’est pas de tout repos et exige des compétences avérées, le client doit absolument être satisfait ».

Certaines commandes, a-t-il précisé, portent également sur la réalisation de drapeaux flottants, le traçage de figures géométriques, sur la décoration des embarcations avec des signes hiéroglyphiques, « Je reçois des commandes du Gandiolais, des trois quartiers de la Langue de Barbarie, de l’hydrobase, de Rao, Mpal, Gandon, Dakar, Mbour, Kayar, etc ».

Le problème qui se pose actuellement dans notre corporation, « est que nous sommes de plus en plus infiltrés par des jeunes qui n’ont aucune connaissance de ce métier, qui se précipitent pour accaparer certains marchés sans être capable de satisfaire entièrement nos clients, finalement, ils ne font que déprécier notre art, en nous causant de lourds préjudices et autres désagréments, ils feraient mieux de venir apprendre ce métier auprès de nous, en vue d’être en mesure de contribuer efficacement à cette grande croisade contre le chômage ».

Il m’arrive très souvent de faire des décorations, en écrivant le nom du propriétaire de l’embarcation, celui de son père, de sa mère ou de ses grands-parents, « là, il me faut absolument extérioriser mes talents de calligraphe ».  Il dessine ainsi beaucoup de ronds, qui lui viennent des canons des premiers galions portugais qui avaient occupé Saint-Louis avant l’arrivée des colons français.

Sur les commandes, on lui demande régulièrement de peindre en bleu, blanc et rouge, qui symbolise le drapeau français, « c’est pour vous dire que cette peinture des pirogues date de l’époque coloniale, qui était marquée par l’organisation de régates sur le grand bras du fleuve, d’autres pêcheurs choisissent les couleurs du drapeau sénégalais ».

S’il reste durant une semaine sans peindre la moindre pirogue, Elimane se rabat sur les boutiques, sur les murs de certaines maisons, sur les salons de coiffure, pour exécuter des commandes de peinture et de décoration, qui lui font gagner quotidiennement entre 8000 et 50.000 FCfa.

Cet artiste n’est pas riche, mais il ne se plaint pas car, durant les traditionnelles régates de Guet-Ndar, il peut gagner jusqu’à hauteur de 300.000 à 500.000 FCfa, « les trois sous-quartiers de Guet-Ndar, notamment, Lodo, Pondokholé et Dack, doivent nécessairement présenter neuf pirogues très belles, attirantes et savamment bariolées, pour la course, ça nous donne de la matière et m’oblige à faire travailler des enfants qui s’intéressent à ce métier, en vue de leur permettre de survivre et de subvenir aux besoins de leurs parents ».

Elimane Diop gagne sa vie également dans la réalisation des banderoles, des pancartes, qu’il confectionne dans certaines écoles primaires du faubourg de Sor, où on l’autorise à aménager de temps à autre ses ateliers, « il me faut pour ce genre de travail, un milieu spacieux et aéré, qui me permet de peindre des tableaux, de m’inspirer des thèmes d’actualité, qui tournent essentiellement autour de l’émigration clandestine, des injustices et des discriminations sociales et autres tares qui gangrènent notre société, etc ».

Parlant de ses projets et perspectives, il a laissé entendre qu’il ambitionne de rechercher des financements qui lui permettront d’aménager dans le faubourg de Sor, un grand centre de réalisation de tableaux d’art plastique, de former de nombreux jeunes dans l’art décoratif, dans la poésie, etc.                                              

Awa Diagne Sall Kharachi

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