Ndoumbélane, un pays en transe : des hommes en transe, des routes en transe et un ciel en trans
C’est le propre du genre humain que de fermer
les yeux quand la vue la réalité impitoyable le gêne ou, à l’inverse, quand il
a peur que le plaisir qu’il est en train de vivre prenne fin. D’autres, plus
habiles, décident de perdre conscience pour ne plus avoir à faire face à la
réalité : la transe en est un mode d’expression. La transe est une
excitation extrême qui congédie la mesure, la raison, l’esprit critique :
paroles délirantes, agitations incohérentes en sont les signes. La transe est
une modification de la conscience qui suscite une activité mentale qui supprime
les barrières trop étroites de la réalité. Il n’y a pas plus malchanceux que
celui qui est lié d’amitié à un homme qui a l’habitude de tomber en
transe : on ne sait jamais quand est-ce qu’il est réellement en transe et
quand est-ce qu’il y joue ! Qu’arrive-t-il alors lorsque tout un peuple
est en transe ?
Ndoumbélane est un pays en transe
permanente : les rues sont des lieux de transe de même que les écoles et
universités, les mosquées, les routes, les moyens de transport. L’émotivité est
devenue endémique dans cet étrange pays ; et ce qui s’y passe n’est que la
traduction dans la réalité des phénomènes psychiques bizarres qui rythment le
vie mentale de ses habitants. La quiétude est la denrée la plus rare à
Ndoumbélane, et on comprend pourquoi les chercheurs et ingénieurs de ce pays-là
ont du mal à trouver et innover. Le bruit fait désormais partie de l’être de
l’homme de Ndoumbélane, il a fini de coloniser chaque atome de son corps,
chaque neurone de son cerveau. Aussi, est-on, sans retenue, plongé dans une
transe profonde à la moindre étincelle !
Pour une petite histoire d’Histoire (un peu
trop particulière quand même !) tout Ndoumbélane est subitement plongé
dans un état second : on crie, hurle, invective, menace… Et devinez
pourquoi ? Parce que, comme à son habitude, le citoyen de Ndoumbélane
résume tout à la religion. Il refuse sa mission sur terre sous le prétexte de
la religion. Il confond histoire et apologie ; il substitue l’hagiographie
aux faits historiques ; et fidèle à sa profonde dénaturation, il veut que
les dieux remplacent les hommes dans leurs tâches. Ce n’est donc pas étonnant
que le citoyen de Ndoumbélane confonde histoire générale de son pays et
histoire de la religion comme si son histoire se résumait à des faits
religieux. Ce pays est le seul au monde où on parle rarement de faits rationnels :
ce n’est même pas de l’obscurantisme, c’est de l’obscurité ontologique. Ce qui
est le plus désespérant c’est d’entendre les gens de Ndoumbélane
rabâcher le refrain devenus comique : Dëk-bi
Dëk Diiné la. Est-ce vraiment sérieux ? Et avec ça, on veut un
patriote, un républicain. N’est-on pas capable, à Ndoumbélane, d’être autre
chose qu’un fidèle ?
Il y a un mal complexe et délicat que les
intellectuels, puisque le politique s’accommode éhontément de compromission,
jugulent une bonne fois pour toutes : c’est l’emprise du folklore sur la
vie des citoyens. Une vidéo qui circule dans les réseaux sociaux permet
d’illustrer la nature complexe et sournoise de ce mal : la femme d’une
personnalité de la république étalant ses biens matériels et faisant preuve d’une
largesse insolente envers des communicateurs traditionnels. Comment une
république peut-elle intégrer une telle pratique ? De véritables
sangsues, refusant tout contact avec le travail, exploitent la folie des
grandeurs d’arrivistes qui sont à leur tour présentés comme modèles. Comment le
même visage qui fait le Woyaan peut-il
parler, en même temps, au nom de la religion, de la politique, du sport et même
de la science ? Cette ignominie est mise sous le compte de la culture et
de la tradition (encore que c’est inexact) comme si culture et tradition ne
devraient jamais être critiquées et réformées. Et on veut que Ndoumbélane
émerge ?
Les principaux acteurs de cette fourberie sont
curieusement les voix des plus grandes familles religieuses de Ndoumbélane. Le
résultat de cette machination est évidemment la folklorisation de la
religion : ce n’est dès lors pas étonnant que la religion dans ce pays
devienne une rivale de la lutte avec ses Cumukay,
ses Bakk-Kat, ses
chorégraphes-rhapsodes, ses Taaxuran-Kat, ses Suxx : à la place de fidèles on
a créé des supporters ivres de chauvinisme comme de vulgaires hooligans. Le Woyaan est institutionnalisé jusque
dans la religion après avoir infecté le sport, la politique et le show-biz. La
prêche religieuse n’est plus faite selon les préceptes de la décence, de la
mesure et de la parole sage et placide : elle est soumise au diktat du
folklore. Tout le monde crie au lieu de parler ; et la concurrence est
désormais dans la vulgarité et l’obscénité du discours.
Ndoumbélane est une gigantesque transe, ce
n’est même plus un pays en transe, Ndoumbélane est lui-même une transe à ciel
ouvert. Le seul réconfort ou bénéfice de l’état de transe, c’est
l’insensibilité : voilà pourquoi la défaite dans le sport et l’échec dans
les études sont devenus banals, ordinaires, normaux. Je crois que même le ciel
a fini d’adopter notre existence en transe : la pluie est entrée en transe
dès qu’elle a mis fin à sa longue bouderie, et le tonnerre se réjouit de sa
cruauté quasi quotidienne. La normalité étant la première victime de la transe,
les habitants de Ndoumbélane meurent comme des mouches dans d’étranges
accidents : les voitures et les chauffeurs sont forcément en transe. Le
vol, la corruption, le rapt, le détournement de deniers publics, sont devenus
des phénomènes normaux aux yeux des citoyens parce qu’ils ont choisi la transe
comme refuge.
Le
Casse-pieds de Ndoumbélane.
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