En Guinée Bissau, selon les dernières informations reçues, 14 pirogues sont arraisonnes depuis le 15 Février par les garde-côtes Bissau guinéen et un sénégalais arrêté. Cet événement qui intervient à quelques jours de la visite du président Macky Sall en Mauritanie pour des faits similaires,( aggravé par la mort de Fallou Fall) ne manque pas de poser la question cruciale d’une réforme courageuse et plus volontariste de notre politique nationale des pêches en l’organisant principalement autour de l’exploitation durable de nos propres ressources halieutiques , dans le cadre spatial du territoire sénégalais afin de limiter au maximum l’exposition de nos pêcheurs à des situations qui les mettent en danger.
A cet égard, l’interview accordée par monsieur Yerim Thioube, Président du M.A.S au quotidien 24H est toujours d’actualité. Raison pour laquelle nous vous la reproduisons In extenso. Bonne lecture.
INTERVIEW DE MONSIEUR YERIM THIOUBE, PRESIDENT DU M.A.S.
(MOUVEMENT ACTION SENEGAL).
1/ 24H : Il existe un conflit de basse intensité entre le Sénégal et la Mauritanie. Dans quels axes devrait évoluer le Président de la République, une fois en Mauritanie ?
Yérim THIOUBE :
Si votre question a pour cadre la pêche, le terme conflit « de basse intensité » est un euphémisme, quand on se réfère, à la fois aux conditions dans lesquelles le défunt Fallou Sall a trouvé la mort, aux conditions dans lesquelles les pêcheurs saint-louisiens, en situation d’infractions, sont souvent détenus et traités en Mauritanie, et, enfin sur la persistance de cette situation conflictuelle sur une longue période, le conflit dit de basse intensité ne datant pas d’hier, malheureusement. Et il perdurera, sans aucun doute, tant qu’il y’aura en Mauritanie un poisson relativement abondant convoité par les pêcheurs saint-louisiens.
Ceci étant dit, il faut saluer objectivement l’initiative la visite du Président de la République (PR) en Mauritanie. Car, on se serait plutôt attendu à l’inverse, vu la gravité des situations qui ont précédé et suivi la mort de Fallou Sall et les conditions du décès de ce dernier. Nonobstant ces conditions, le PR a pris sur lui de se rendre en Mauritanie, signe que les intérêts de ses compatriotes dont il a la charge prennent le pas sur toute autre considération subjective.
Dans quels axes devrait évoluer le Président de la République ? Le simple fait de s’y rendre traduit, de la part du PR, la volonté de transcender et de décrisper la situation tendue entre les deux pays. Partant, il est probable que les sujets qui peuvent fâcher ou provoquer des crispations ne seront abordées qu’avec diplomatie. Qu’importe : le PR aura certainement à cœur d’inviter son homologue à modérer les comportements ordinairement brutaux de la soldatesque mauritanienne, pas seulement à l’encontre des seuls pêcheurs, mais de l’ensemble des sénégalais qui résident en Mauritanie. Et là, plus que certainement, il sera entendu, pour la double raison qu’il s’est personnellement déplacé et ce, alors que la mort de Fallou Sall et les tensions qui s’en sont ensuivies sont encore toutes fraîches dans tous les esprits, y compris et surtout mauritaniens.
Outre les comportements que les Mauritaniens doivent observer à l’égard des sénégalais, l’autre axe sera, naturellement, la question des licences de pêche que la Mauritanie peut octroyer au Sénégal.
Un tout petit glissement pourrait, tout de même, être fait pour faire diplomatiquement comprendre aux mauritaniens que si leur poisson représente une grande valeur pour eux, nos immenses pâturages où leurs tout aussi immenses troupeaux viennent séjourner représentent aussi une tout aussi grande valeur pour nous autres sénégalais.
2/ 24H CHRONO : Quelles licences de pêche pour les pêcheurs sénégalais ?
Yérim THIOUBE :
Les licences dont veulent les pêcheurs saint-louisiens présentent les paramètres suivants : elles ne doivent pas être de courte durée, même renouvelables, et porter sur des quotas qui ne leur permettent pas de dégager des marges. L’optimum, pour permettre, tant aux privés qu’aux autorités sénégalais et mauritaniens, de mieux organiser la gestion des licences de pêche, serait d’accorder ces licences sur une base annuelle et sur des quantités susceptibles d’amortir les dépenses d’exploitation d’une pirogue type et de dégager une plus-value.
3/ 24H : Devrons-nous revoir notre politique d’économie maritime ?
Yérim THIOUBE :
La notion d’Economie maritime est une notion vaste, qui ne se limite pas seulement à la pêche, mais déborde sur d’autres secteurs dit de l’industrie maritime, à savoir, la marine marchande, incluant transports maritimes et ports, entre autres.
Mais, même cette notion d’Economie maritime est, aujourd’hui, elle-même dépassée par celle d’Economie dite « Bleue », depuis que les experts et les chercheurs ont pris la pleine mesure des interactions multiformes et des liens interdépendants qui existent entre différents secteurs de l’activité économique nationale, qui sont directement ou indirectement influencés par la Mer et son environnement physique immédiat ou adjacent. En effet, la double pression démographique et des besoins de tous types ont fini de soumettre la Mer et ses zones littorales adjacentes à une exploitation de plus en plus intensive, à la fois par plusieurs secteurs de l’activité économique nationale, notamment, le transport fluviomaritime, la pêche, l’aquaculture, l’agriculture côtière, le tourisme, l’urbanisme, l’exploitation pétrolière et gazière, le tout combiné aux impacts du changement climatique et aux agressions diverses qui pèsent sur cet environnement, comme la pollution marine involontaire et surtout volontaire (qui représente 80 % des faits de pollution), la piraterie et les actes illicites en mer.
Dans la plupart des pays, le cloisonnement structurel et/ou institutionnel qui existe entre ces différents secteurs de l’activité économique nationale est, à la fois, source de déperditions nombreuses, frein à une croissance économique soutenue et préjudice à l’exploitation durable de leurs ressources naturelles.
La coordination entre ces différentes utilisations de l’espace fluviomaritime est un élément de bonne gouvernance dont il faut, désormais, tenir compte, pour anticiper sur les conséquences, souvent irrémédiables, d’une gestion individualisée et sans beaucoup de cohérence de cet espace, comme cela a été le cas pour certains pays, et non des moindres.
En ce qui concerne plus spécifiquement nos relations avec la Mauritanie dans le domaine de la pêche, il nous faut nous rendre à l’évidence : une réforme en profondeur de notre politique en la matière est inévitable, sous peine de nous exposer à des lendemains qui déchantent et d’exposer nos pêcheurs à des crises sociales graves.
En effet, l’évolution actuellement observée du tissu économique et industriel de la Mauritanie, qui s’étoffe de plus en plus, la conduit inévitablement à assurer une meilleure maîtrise de ses ressources halieutiques pour ses propres besoins économiques nationaux, au profit de ses propres ressources humaines nationales, sous peine de s’exposer elle-même à de graves crises. Il s’y ajoute que, dans un contexte d’augmentation de la consommation mondiale en poisson, conjuguée à un tassement ou une réduction des stocks halieutiques, la part que la Mauritanie pourra octroyer ou réserver à des voisins africains, au titre de licences de pêche, sera de plus en plus congrue et, dans tous les cas, moins intéressante pour elle que les gains financiers considérables qu’elle peut tirer de ses accords avec des sociétés de pays asiatiques ou de l’Hémisphère Nord. Dans ces conditions, pour la Mauritanie, l’octroi, de plus en plus difficile ou parcimonieux de licences de pêche à des pays africains, comme le Sénégal, relève plus d’une politique de bon voisinage que d’un intérêt économique intrinsèque.
C’est dire qu’au fur et à mesure, elle aura de moins en moins besoin de nos pêcheurs.
Au Sénégal, donc, de se préparer, activement et maintenant, aux transitions nécessaires, autrement qu’avec des discours et des mots !
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