Mener à bien le projet
de construire une démocratie exemplaire demande au préalable de se conformer au
respect de la légalité. Par respect de la légalité, il faut entendre le respect
de la norme la plus fondamentale à la norme inférieure (principe de juridicité).
Cette précision permet de rappeler que dans sa mission de service public et
dans l’exercice de ses prérogatives, un gouvernant ne saurait envisager de la
même manière les règles concernant les relations entre les particuliers et
l’État et les règles applicables aux relations privées des particuliers. A cet
égard, il est curieux de constater que les arrêtés n°016133 et n°016134 du 03
juillet 2019 du ministre de l’intérieur portant respectivement fixation du
montant de la caution et de la fiche de collecte de parrainages en vue des
élections départementales et municipales du 1er décembre 2019 dont
la portée est générale et absolue se trouvent de manière systématique entachés
d’illégalité. En effet, ils portent une atteinte grave aux droits
fondamentaux des citoyens, (primo-inscrits, préinscrits et demandeurs d’une
nouvelle inscription), privés injustement de leur droit de s’inscrire sur les
listes électorales et celui de recevoir leurs cartes d’électeurs dans l’espace
et dans le temps. Par cette carence volontaire de l’Exécutif
(en droit administratif, carence
signifie immobilisme et manquement grave, en droit constitutionnel, on parle
d’incompétence négative), des milliers de sénégalais sont injustement
privés de leur liberté de parrainer et leur droit de voter (deux libertés
fondamentales rigoureusement protégées). Au surplus, le risque de voir la
légalité des arrêtés ministériels préparatoires aux élections locales contestée
devant la Cour suprême n’est pas mince ni négligeable, comme en témoignent le
recours en référé-liberté qui avait été présenté devant cette même juridiction
contre l’arrêté ministériel n° 20025 en date du 23 août 2018 fixant le modèle
(format papier et électronique) de la fiche de collecte de parrainages en vue
de l’élection présidentielle du 24 février 2019. S’ils saisissent la Cour
suprême, les citoyens concernés pourraient faire annuler voire suspendre ces
arrêtés dans les délais de quarante-huit heures (48h). Ces divers éléments de
droit et de faits permettent de constater l’illégalité de l’arrêté fixant la
caution (I) ainsi que l’illégalité
de l’arrêté portant fiche de collecte de parrainages (II).
I-L’illégalité de l’arrêté fixant
le montant de la caution
En vertu de l’article
L.57 du Code électoral, par arrêté n°016133 du 03 juillet 2019, le ministre de
l’intérieur a fixé le montant de la caution, en vue de la participation aux
élections départementales et municipales du 1er décembre 2109, à dix
millions (10. 000. 000 CFA) de francs pour chaque type d’élection et par chaque
liste quel que soit le nombre de départements ou de communes ou la liste de
candidats se présente. En effet, la caution est une des pièces
obligatoires pour la validité d’une candidature. Contrairement à
une idée répandue, il ne suffit pas de prendre un arrêté en matière
administrative pour le rendre légal. Encore faut-il préalablement identifier
des éléments démontrant les bases juridiques significatifs pour l’autorité
compétente et être capable d’en justifier en cas de contentieux.
Dès lors, face à un tel
arrêté, l’absence du décret présidentiel portant ouverture exceptionnelle de la
révision des listes électorales mérite d’être pointée. Elle viole les droits
fondamentaux de candidats éventuels (par exemple les personnes âgés de dix-huit
ans révolus et voulant devenir conseillers municipaux ou départementaux) non
encore inscrits sur les listes électorales. A preuve, à l’effet de
permettre aux candidats autres que ceux figurant déjà sur les listes
électorales de participer aux prochaines élections générales, la Loi n° 2017-12
du 18 janvier 2017 portant Code électoral a prescrit que lesdits citoyens
doivent, pour exercer leur droit d’être candidat aux élections précitées au
Sénégal, être inscrits sur une liste électorale complémentaire. Plus
précisément, au niveau de la Section 2 du Code électoral dont le titre porte
sur « Etablissement et révision des listes électorales », l’article L. 39 du
Code électoral précise que «Les listes électorales sont permanentes et qu’elles
font l’objet d’une révision annuelle. Avant chaque élection générale, une révision
exceptionnelle est décidée par décret. » Cette disposition prévoit
ainsi les conditions dans lesquelles les listes sont mises à jour. L’absence de
révision de ces listes ne permet pas aux éventuels candidats ne figurant pas
sur ces listes de pouvoir exercer leur pouvoir de suffrage (droit de vote et
celui d’être candidat). Il s’agit d’une violation manifeste de la
liberté de candidature.
S’il est difficile de chercher
l’erreur du ministre dans son acte, puiser l’illégalité dans l’absence de décret présidentiel paraît
à certain égard beaucoup plus simple. L’illustration nous en est fournie par deux
états que sont le candidat et la candidature. Evoquons-les
brièvement. La candidature et le candidat ont en effet des significations
distinctes puisque le premier met l’accent sur le processus, la procédure
suivie pour faire valider son dossier devant la structure habilitée à cet effet,
tandis que le second est directement lié à la définition d’un statut en la
personne habilitée à concourir à l’expression des suffrages des électeurs dans
le cadre d’une élection. De la part du Gouvernement, il y a donc
une évidente violation de la loi (la bonne foi du Gouvernement se présume, mais
cette présomption est réfragable), notamment
le principe d’égalité des citoyens devant la loi garantit par la Constitution.
Le chef de l’Exécutif
ne peut nullement se dispenser de prendre le décret portant révision
exceptionnelle des listes électorales en s’abritant derrière l’existence d’un
pouvoir discrétionnaire sans fondement légal, alors que la loi électorale de
référence (le Code électoral) dont il a connaissance lui prescrit un
comportement précis.
II-L’illégalité de l’arrêté portant fiche de
collecte de parrainages
En vertu de l’article
L.57 du Code électoral, par arrêté n°016134 du 03 juillet 2019, pris par le
ministre de l’intérieur, fixant le format et les éléments d’identification
constituant les rubriques de la fiche de collecte de parrainages en vue des
élections départementales et municipales du 1er décembre 2019, le
ministre de l’intérieur a acté l’une des phases les plus importantes du
processus des candidatures aux élections locales : le parrainage. En effet,
la procédure officielle de collecte de parrainages débute par un acte matériel
qui est l’arrêté de la fiche de collecte de parrainages pour se terminer par leur dépôt et/ou non
leur validation éventuelle par la
structure chargée du contrôle.
Pourtant, en vertu de
sa conformité avec la loi, cet arrêté a une légalité douteuse. En vertu d’une
obligation d’un passage à un toilettage des listes électorales, dans le souci
de respecter l’égalité des citoyens devant la loi, à l’effet de permettre aux
citoyens autres que ceux figurant déjà sur les listes électorales de participer
aux prochaines élections, la Loi n° 2017-12 du 18 janvier 2017 portant Code
électoral a prescrit que lesdits citoyens doivent, pour exercer leur droit de
vote et leur liberté de parrainer aux élections précitées au Sénégal, être
inscrits sur une liste électorale complémentaire. Plus précisément, au niveau
de la Section 2 du Code électoral dont le titre porte sur «Etablissement et
révision des listes électorales », l’article L. 39 du Code électoral précise
que «Les listes électorales sont permanentes et qu’elles font l’objet d’une
révision annuelle. Avant chaque élection générale, une révision exceptionnelle est décidée
par décret. » Cette disposition prévoit ainsi les conditions dans
lesquelles les listes sont mises à jour par le pouvoir réglementaire. Pouvoir
détenu par le Président de la République, ce dernier a une compétence liée de
prendre un tel acte dans un délai raisonnable, dès lors que la date des
élections générales est fixée par décret présidentiel.
Il serait ainsi intéressant
de rappeler que nous sommes, ici, au cœur des libertés fondamentales dont le
respect s’impose au pouvoir réglementaire. En effet, dans le champ de la
politique locale, ont été reconnues comme libertés fondamentales : la
libre expression du suffrage; le caractère pluraliste de l’expression des
courants de pensée et d’opinion; le libre exercice de leurs mandats par les
élus locaux. Pour exprimer leur liberté de parrainer et leur droit de vote,
les citoyens sont tenus de figurer préalablement sur le fichier général.
Ces libertés
fondamentales se manifestent aussi à travers les articles L.45 et L.47 du Code
électoral. En effet, L’article L.45 alinéa 1 du code électoral dispose que : «
Les listes des communes sont déposées à la préfecture (…) ». Cependant
l’obligation qu’a le Président de la République de permettre aux citoyens d’y
figurer pour leur permettre de parrainer la liste de candidature de leur choix et
d’en assurer l’accès à tout citoyen qui en fait la demande trouve plus
précisément son fondement dans l’article L.47 du même code en vertu duquel : «
Les listes électorales modifiées conformément aux dispositions des articles L.43
à L.46 sont conservées dans les archives de la sous-préfecture, de la
préfecture ou de la Gouvernance. Tout électeur peut en prendre communication et
copie à ses frais. » Cette disposition crée ainsi dans le chef des citoyens un droit
non conditionné qu’il revient au Président de la République et l’administration
territoriale d’en assurer la réalisation juridique. En effet, même le dernier
alinéa de l’article R.43 du décret d’application de la loi électorale n°
2017-170 du 27 janvier 2017 prévoit lui aussi que : « Les listes détenues par
les Autorités indiquées aux alinéas 4 et 5 du présent article sont à la
disposition des électeurs qui peuvent les consulter ». Aussi, est-il important
de porter à l’attention du Président de la République que la loi électorale, en
son article L.2 fait bien la distinction entre les listes électorales et le
fichier électoral. Dès lors, les citoyens électeurs peuvent ne pas pouvoir
demander la mise à leur disposition du fichier électoral, mais bien des listes
électorales qui ont été transmises aux autorités administratives conformément à
l’article L.47 et à l’article R.43.
Aussi, le parrainage
obligatoire exige à ce que ces électeurs puissent figurer sur le fichier général
pour pouvoir parrainer. Par ailleurs, le contrôle des listes électorales est
partagé entre le juge et l’autorité administrative. Il s’agit du contrôle de la
régularité des opérations administratives et du contrôle de leur bien-fondé,
c’est-à-dire de la qualité d’électeur. Les électeurs non encore inscrits et
injustement privés de leur liberté de parrainer pourraient bien attaquer
l’arrêté fixant la fiche de collecte de parrainages aux élections locales pour
violation de la loi et rupture du principe d’égalité. En l’espèce, les
électeurs privés injustement de leur liberté de parrainer une liste de
candidature justifient d’un intérêt pour agir contre l’arrêté concerné qui est
de nature à affecter de façon spécifique l’exercice d’une liberté fondamentale et
présentant, dans la mesure notamment où elle répond à une situation susceptible
d’être rencontrée par des milliers de citoyens, une portée excessive.
Mouhamadou Ngouda MBOUP
Enseignant-chercheur de droit
public FSJP/UCAD
Consultant
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