Rappeler les valeurs de l’Etat de droit et de la démocratie est
une ardente obligation. La République apparaît souvent comme un ensemble de
valeurs qui s’imposent à l’Etat, aux communautés, acteurs économiques,
politiques, et aux citoyens, etc. C’est effectivement plus que ça, mais elle
est avant tout une République qui repose sur la démocratie et l’État de droit.
Ce bref rappel
permet de préciser que la manifestation de la vérité dans l’affaire relative aux
contrats pétroliers et gaziers peut contribuer, dans le contexte actuel, à la
clarté des choses et à l’apaisement. Il vrai qu’Aliou SALL ne pouvait
raisonnablement prétendre à ses différentes responsabilités d’aujourd’hui si
son frère n’était pas le Président de la République. Les fonctions tant
publiques que privées dont il a déjà la responsabilité, même à la faveur d’un
décret de son frère Président, l’empêchent,
pourtant, juridiquement de pouvoir assurer la direction de la Caisse des dépôts
et consignations (voir article 100 Code général des
Collectivités territoriales du Sénégal). Au-delà de cette illégalité manifeste
(à la faveur d’un décret présidentiel), pour la manifestation de la
vérité, il
est temps que la justice ouvre une information judiciaire et
que monsieur SALL (toujours
présumé innocent) et toutes les personnes concernées
soient convoqués et entendus par la justice pour tirer au clair cette affaire
qui continue de secouer l’Etat. Monsieur
SALL est un justiciable ordinaire qui ne jouit d’aucune immunité. De
quel droit Aliou SALL peut-il prétendre à cette mobilisation générale de l’Etat
? Qu’est-ce que l’Etat du Sénégal chercherait à couvrir ? Contrairement à ce
qui est dit, le
Procureur n’a pas à s’autosaisir, il doit se saisir de cette affaire.
Se saisir de l’affaire pourrait permettre la manifestation de la vérité au nom
de l’Etat de droit (I) et de la démocratie (II).
I-La justice au nom de l’Etat de droit
Poser l’Etat de
droit est une idée aussi belle que difficile à réaliser. L’État de droit, c’est
précisément le contraire de la position du Gouvernement dans l’affaire Aliou
SALL. C’est un Gouvernement partisan qui a pris position et qui a prématurément
jugé pour absoudre un citoyen, simple justiciable, avant l’intervention de la
justice. En effet, nos dirigeants ont la fâcheuse habitude de considérer leurs
citoyens alertes comme des suspects en puissance dès lors qu’ils participent à la
transparence de la vie publique et leurs opposants comme des éléments
subversifs, alors qu’ils font preuve de cécité vis à- vis des scandales
financiers qui les éclaboussent et des non moins scandaleuses pratiques de
leurs collaborateurs, entourage ou famille. Pourtant, l’État de droit ignore
cette tension en affirmant la primauté du «gouvernement du droit» sur le
«gouvernement des hommes» en tant que principe de légitimité. Le gouvernement
des hommes renvoie aux titulaires du pouvoir investis de la capacité de vouloir
et d’agir au nom de la collectivité, tandis que le gouvernement du droit
renvoie à l’égalité devant la loi et devant la justice.
Au nom de
l’Etat de droit, la légalité de contrats ainsi toutes les transactions y
afférentes doivent s’examiner à un double point de vue, c’est-à-dire au regard
du droit interne et du droit international. Aliou SALL est maire de Guédiawaye,
certes, présumé
innocent, qui ne bénéficie d’aucune immunité.
Au-delà de sa responsabilité
politique vis-à-vis des électeurs de cette Commune, il
peut voir sa responsabilité
civile et pénale engagée dans les conditions définies
par la loi. Sa responsabilité civile ne peut en principe être engagée que dans
l’hypothèse particulière de la commission d’une faute personnelle. Sa responsabilité
pénale pourrait être engagée à l’occasion de la commission d’une quelconque
infraction réprimée par la loi. Suite à cette affaire, il conviendrait enfin de
s’assurer, en vertu du préambule de la Constitution, de «la transparence dans la gestion des
affaires publiques ». Pour faire bref, l’Etat de droit est un rempart contre
d’éventuelles dérives contraires à la loi, une valeur que la République porte
parce que nous l’avons construit ainsi, par ce que l’Etat de droit est devenu
un titre de respectabilité, il a aussi permis d’innover vers le progrès en
matière de droits et construit les conditions d’un droit de regard sur la
manière de gouverner et de décider au nom de la démocratie.
II-La justice au nom de la
démocratie
Ce n’est
pas la démocratie qui contrôle l’Etat de droit, mais l’inverse. Aujourd’hui, dans
bien des cas, en raison de la solidarité politique unissant Président,
Gouvernement et Parlement, l’aspect démocratique d’un régime tient donc à autre
chose qu’à la prétendue séparation «Pouvoir Législatif – Pouvoir Exécutif »,
c’est-à-dire à l’indépendance du système judiciaire et des Juges.
Aussi, la
démocratie ne se définit plus seulement par ses origines, mais aussi par sa
finalité. En vérité, l’élection n’est plus le seul ressort de la légitimité
démocratique. Dès lors, deux institutions sont également légitimes : celle qui
trouve son fondement dans l’élection (légitimité « élective ») et celle qui le
trouve dans la défense des droits fondamentaux (légitimité «fonctionnelle »… du
pouvoir judiciaire et des juges).
Si le concept
de démocratie doit avoir une valeur autre que purement mythologique, s’il doit
avoir une valeur historique réelle sous nos cieux, il faut accepter d’en
substantialiser le contenu. « Substance » comme synonyme de « matérielle »
s’oppose ici à procédure (électorale). En effet, avec l’éclosion de la figure
du juge au cœur de tous les régimes, nous assistons à un contenu dualiste de la
démocratie. Aujourd’hui, l’exigence d’élections démocratiques, aussi nécessaire
soit-elle, n’épuise pas les voies de la démocratie. Le contrôle du pouvoir s’impose aussi
comme une poutre maîtresse des régimes modernes. Dès lors, jusqu’où peut aller
le pouvoir de la justice sénégalaise dans cette affaire relative aux contrats
pétroliers et gaziers? Gardienne des droits et
libertés, la justice
sénégalaise, face à la position déjà affichée par le Gouvernement, en
arrivera-t-elle à présenter au Peuple les éléments nécessaires à la
manifestation de la vérité ? Vaste question !
Il est certain
que lorsqu’il s’agit des intérêts du Peuple, il est particulièrement important
de satisfaire aux principes de transparence, de justice et d’égalité. Par
conséquent, il est
essentiel que les conditions d’une manifestation de la vérité au nom de la
démocratie soient clairement observées et que le
Gouvernement lui-même soit respectueux dans son application, de façon à remplir
le critère de « Gouvernement modéré ».
Mouhamadou Ngouda MBOUP
Enseignant-chercheur de droit public FSJP/UCAD
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