Alassane Ndiaye, Directeur adjoint à la Direction des affaires criminelles et des grâces, apporte, dans cet entretien accordé à emedia.sn, des éclairages sur la criminalisation du viol.
L’Assemblée nationale a, le 27 décembre 2019, adopté, à l’unanimité, la loi criminalisant le viol, quels sont les changements qui ont été apportés ?
Les innovations de la loi sont un peu nombreuses. Si vous vous rappelez bien, la loi qui est présentement en vigueur punissait le viol d’une peine allant de 5 à 10 ans de prison et le viol, dan ce cas, était un délit et non un crime.
Maintenant, lorsqu’il y a des circonstances aggravantes, la punition changeait un tout petit peu. Avec la nouvelle loi qui vient d’être votée, toutes les infractions liées au viol deviennent des crimes. Le viol qu’on appelait viol simple, qui n’était accompagné d’aucune circonstance aggravante, est maintenant puni d’une peine de réclusion criminelle de 10 à 20 ans. C’est la peine minimale. Les autres cas de viol également sont sanctionnés à des peines de 10 à 20 ans parce qu’avec la nouvelle loi qui vient d’être votée, on a ce qu’on appelle la réclusion criminelle et la détention criminelle.
Maintenant, lorsque l’infraction est commise sur un mineur de 13 ans, c’est toujours la réclusion criminelle de 10 à 20 ans. La chambre criminelle ne peut pas prononcer une peine inférieure à 10 ans dès lors que l’infraction est commise sur une personne vulnérable en raison de son âge ou de son état de santé. Lorsque l’infraction est maintenant suivie de mort ou d’actes de barbarie, là également, c’est la perpétuité. Et la chambre criminelle, même si elle estime qu’elle doit appliquer des circonstances atténuantes, ne peut pas descendre en deçà de 20 ans.
Qu’en est-il sur le plan procédural ?
La procédure également a un peu changé. En matière délictuelle, il est possible pour le procureur, dès lors qu’on lui défère quelqu’un qui est poursuivi pour des faits de viol, de le traduire directement devant le tribunal des flagrants délits. Maintenant, en matière criminelle, l’instruction est obligatoire. Quelqu’un qui est déféré devant le procureur pour des faits de viol, doit impérativement, si le procureur estime de le poursuivre, être présenté à un juge d’instruction qui doit procéder à une information.
Des inquiétudes relatives à cette loi ont été soulevées par certains. Quelles sont les garanties auxquelles le magistrat du siège doit s’entourer pour éviter de commettre une erreur judiciaire, comme condamner un innocent
Il y a trois niveaux de vérification. Après l’enquête, le procureur reçoit un procès-verbal. S’il y a des éléments de preuves, des scellés ou autres on les lui envoie. Le procureur vérifie tous les éléments. S’il y a des indices et des présomptions, le procureur ouvre une information judiciaire. Mais, il peut aussi classer sans suite même s’il s’agit de faits présumés de viol. Si le procureur estime qu’il n’y a pas suffisamment d’indice et de présomption pour poursuivre, il classe sans suite. Rien ne l’oblige à poursuivre s’il n’y a aucun élément qui puisse le permettre de déclencher les poursuites.
Après cette première étape de vérification, le juge d’instruction aussi doit procéder à des vérifications supplémentaires. Il ne doit pas se limiter uniquement sur ce que les enquêteurs lui ont donné. Si le procureur estime même devoir requérir les services d’un expert, le juge doit le faire. Il doit essayer de rassembler tous les éléments de preuves nécessaires pour avoir suffisamment de charge afin de traduire la personne devant la juridiction compétente. Donc, s’il n’y a pas de charge, le juge d’instruction doit prendre ce qu’on appelle une ordonnance de non-lieu. S’il y a des charges, la personne incriminée doit être traduite devant la chambre criminelle. Cette juridiction aussi doit procéder à des vérifications. Là, la procédure est contradictoire. Et la personne poursuivie aura un avocat. S’il n’a pas un avocat, l’Etat lui commet d’office un avocat. S’il estime même pouvoir demander une expertise ou autre, il peut le faire. Parce qu’il arrive même que quelqu’un soit poursuivi devant le tribunal et qui demande à ce qu’on fasse un test ADN. Cela arrive souvent quand il y a viol suivi de grossesse.
Que dites vous à ceux qui soutiennent que tous les hommes sont présentement en sursis car, susceptibles d’être accusé de viol à tout moment ?
Je pense que cela n’a pas changé. Même sans la criminalisation, on pouvait être accusé de viol. Mais, quand une personne croit qu’elle a été gratuitement accusée, atteinte dans sa dignité, son honorabilité, le Code de procédure pénale prévoit une infraction pour dénonciation calomnieuse. Je ne parle même pas de la diffamation. Quand vous êtes accusé d’une infraction, s’il y a une décision de classement sans suite, d’un non-lieu ou d’acquittement, vous pouvez saisir le procureur de la République pour dénonciation calomnieuse. Si on estime que la personne qui avait tenu ces accusations l’avait juste fait dans l’unique but de faire mal, il peut y avoir une condamnation et la personne peut réclamer même des dommages et intérêts. Malgré la criminalisation, personne n’a intérêt d’accuser gratuitement.
Mais nous savions tous que le plus souvent, c’est sur la base de simples déclarations accompagnées de certificat médical que les personnes sont accusées de viol. Or, dans beaucoup de cas, les plaignants se procurent souvent de certificats médicaux de complaisance
Absolument ! Cela peut arriver. Mais, le certificat médical n’est qu’un élément parmi tant d’autres. Le certificat médical ne lie absolument pas le juge. Le certificat médical ne fait que constater. Et ce qu’il constate, il ne l’impute pas à quelqu’un. Quand quelqu’un présente un certificat médical duquel il ressort ce qu’on appelle une défloration hyménale récente ou ancienne, ce n’est qu’une constatation matérielle. On ne lie jamais un certificat médical à un auteur des faits. Le certificat médical est une simple constatation matérielle qui présume qu’il y a un acte ou une pénétration sexuelle qui a été commise sur la personne d’autrui. Mais, cela ne suffit pas pour imputer un quelconque fait à une personne. C’est vrai qu’en matière de viol, souvent, quand quelqu’un est accusé il fait l’objet de poursuite. C’est lié à la nature de l’infraction, mais à la fin, s’il est évident qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuves, la personne pourrait être acquittée.
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