Cher Monsieur Antonio Gutteres, j’aurais du être en ce
moment précis à New York pour participer, comme l’an dernier, et comme tant
d’autres fois avant, à la Session de l’Assemblee Générale de l’organisation des
nations unies (onu). En votre qualité de Secrétaire Général chargé d’en
impulser la marche, je tiens à vous informer que, pour des raisons
indépendantes de ma volonté, je me vois contraint hélas d’être réduit, retenu
au Sénégal, de vous saisir par voie épistolaire -devrais-je dire
techtonicstolaire?), afin de vous secouer un peu. Ce, après l’avoir fait par
message privé, hier, à votre représentant en Afrique de l’Ouest, Mohamed Ibn
Chambas que je connais depuis 1992.
Vous vous souviendrez que vous et moi-même avons partagé la conférence de
Chatham House, à Londres, en juin 2016. Ce jour-la, vous ne pouvez l’oublier,
alors que vous y étiez venu faire campagne pour obtenir votre poste actuel, je
fus celui qui était intervenu pour mettre en garde la prestigieuse audience
contre une possible victoire de Donald Trump, à l’élection présidentielle
américaine qui devait se tenir en novembre de la même année. Toute la salle
misait sur un triomphe de Hillary Clinton. “Si ce que Adama dit se confirme, il
nous faudra revoir notre grille de lecture”, s’écria le brillant Sashi Tharoor,
ancien numéro 2 de l’ONU, réalisant la gravité du débat soulevé. Sylvie
Goulard, la nouvelle Commissaire Européenne aux politiques industrielles, était
avec lui, dans l’un des nombreux panels. Ma prédiction devint réalité avec le
retournement électoral des pronostics: la victoire de Trump…
Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts dans une Maison Blanche
Trumpienne fort agitée alors que l’ONU ronronne dans une inertie rarement vue.
Or, c’est dans un tel contexte, son avenir en pointillés, qu’elle tient demain,
sa 74eme Assemblée Générale annuelle sur un thème fourre-tout autour d’un
développement durable plus incertain que jamais.
Tous les amis et observateurs de notre instance universelle sont inquiets quant
à sa situation actuelle, au point que nombreux ne la voient plus que dans un
état comateux final.
Espace de blablas sans morsure sur le vécu de peuples -Nous les peuples, édicte
pourtant sa charte, dès le départ- qui guettent le moindre signe de pertinence
de sa part. Tous s’étonnent que trente ans après la chute du mur de Berlin
suivie d’une explosion des rêves de libertés publiques et individuelles, elle
n’est plus que ce machin désincarné dont De Gaulle, sarcastique, se moquait
naguère.
Demain, quand, un à un, les chefs d’états et de gouvernement, et leurs suites,
défileront à sa tribune, après avoir engorgé les rues avoisinant le Hudson
River, il y a fort à parier que verbiage et grand-standing seront à l’ordre du
jour.
Monsieur Antonio Gutteres, qu’avez-vous fait de cette organisation? J’avais
cru, en entendant votre voix de ténor, à Chatham House, que vous étiez capable
de lui redonner le lustre qu’elle a perdu. Je pensais que vous aviez un projet
pour elle.
A l’évidence, vous semblez vous contenter de recevoir ses couronnes mortuaires.
L’ONU est marginalisée, sa voix inaudible, son poids faible: les affaires du
monde se jouent loin de ses travées et de ses salons feutrés.
Elle incarne désormais un monde révolu. La vitesse d’un monde mutant la laisse
à la case obsolescence. En êtes-vous conscient?
Il y a plus grave: elle est frappée par un soupçon montant d’une culture de la
corruption et de l’immixtion à des fins crapuleuses dans des histoires éloignées
de ses missions. Il n’est que de vous rappeler ses magouilles sénégalaises
autour d’une coûteuse et criminelle PUDC qui mouille l’une de vos agences, le
Pnud, pour ne pas le nommer, pour mesurer la perte d’âme qui la frappe. Le
savez-vous?
Il y a encore pire, et c’est le but de cette lettre. Quand je me suis engagé à
écrire sur l’ONU, y compris jusqu’à être l’un des acteurs décisifs dans
l’élection du premier africain au sud du Sahara à sa tête, en la personne de
Kofi Annan, en menant campagne pour lui aux côtés de deux de mes amis, Chambas
et l’alors Président du Ghana, Jerry Rawlings, ce n’était sûrement pas pour la
voir devenir ce qu’elle est aujourd’hui: une institution aphone et muette sur
les vrais enjeux de nos sociétés.
La mère de mes enfants, qui a été l’une des principales assistantes de Annan
pendant son magistère peut témoigner qu’à chaque fois que ce dernier me faisait
l’amitié de me contacter mes positions, comme il le disait lui-même, relevaient
de préoccupations légitimes sur sa marche.
Mais me voici contraint de vous demander une question simple: pourquoi est-elle
restée sans voix ni action lorsqu’il y a deux mois, pris en otage, jeté dans
une prison, illégalement, simplement parce que je ne faisais qu’exercer mes
droits constitutionnels, je suis devenu la dernière des victimes d’un
terrorisme etatique prospérant sous les ailes subjuguées de la moribonde
organisation que vous dirigez?
Savez-vous que tout ce qui m’est reproché était couvert par mes droits
constitutionnels, notamment par mon devoir de dire ce que je pense, en des
termes vifs, sur la prédation de notre souveraineté sur nos ressources
naturelles, notre souveraineté sur nos données de citoyen et même notre liberté
d’exposer les frasques, en tous genres, de celui qui gouverne ce pays -au nom
de l’ardente obligation du pluralisme démocratique?
Ou bien, comme j’en ai peur, êtes-vous de cette engeance cynique et détachée
qui préfère tourner la tête pour ne rien voir? Faites-vous partie de ceux qui
refusent de voir les faits en déblatérant sur des jugements de valeur, prétexte
pour ceux qui veulent étouffer le droit inexpugnable des peuples à la liberté
d’expression ?
Autant vous dire donc que, demain, sans espoir, quand
sonnera le coup d’envoi de son Assemblée générale, je fais le pari que dans vos
échanges onctueux, vous n’aurez pas le cran de demander à Macky SALL, l’un de
vos hôtes, ce qu’il a fait bon dieu des acquis démocratiques et des libertés de
notre pays.
J’ai déjà posé cette question à Chambas.
Ce matin, je la soulève ici publiquement, en vous disant que même si vous
choisissez de n’être que le croque-mort de l’ONU, je tiens à me faire le devoir
de vous envoyer des chrysanthèmes commentés…
Monsieur Gutteres, avez-vous du cœur?
Celui de l’ONU est en état ectoplasmique. Ne précipitez pas son arrêt par vos
ondulations verbales et votre dos rond.
Ce monde, plein d’innovations technologiques,
avec une jeunesse qui rêve, mérite mieux que ce cirque, faisant du surplace,
que vous avez fini de faire de l’ONU.
De l’audace et de la dignité, en commençant par faire honte aux violeurs
des normes universellement admises. Si vous en avez le cran.
Plume en main, n’ayant crainte de me defoncer après deux mois de détention
arbitraire, je souhaite savoir ce que l’ONU pense de ma modeste personne et
autour de mes droits spoliés.
En soufflerez vous un mot à Macky ?
J’écoute ! Sans aucune volonté de céder un pouce sur ce que je crois…
Dakar, le 23 septembre 2019.
Adama GAYE
Ps: Retenu au Sénégal, contre mon gré, je ne peux même pas honorer de ma
présence la conférence avec le Général Buhari dont j’avais été l’un des
animateurs l’an dernier -et pour laquelle j’étais invité cette année, dans les
couloirs de l’Assemblée générale de l’ONU. Triste!
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