À 52 ans, Abdel Aziz Ould Dahi impressionne d’abord par son aisance à répondre à toutes les questions, même les plus surprenantes. Depuis trois ans, ce diplômé de l’École Polytechnique de Lausanne en Suisse tient le gouvernail de la Banque Centrale de Mauritanie qu’il compte réformer en profondeur. Face aux forces centrifuges, il a entériné la mise en circulation du nouvel Ougiya, la monnaie mauritanienne et se prépare à amorcer les chantiers sur le changement de statut et la projection de son institution. Il répond ici, sans réserve, aux questions de La Tribune Afrique.
On s’attendait à être reçus dans son immense bureau d’où il pilote la réforme monétaire et les projets à venir. Symbole de son approche innovante, Abdel Aziz Ould Dahi a fait le choix de nous accueillir dans une salle multimédia dernier cri, avec son armada de jeunes collaborateurs. C’est sur les murs de cette pièce, bardés d’écrans et de graphiques lumineux, que le Gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) suit à la loupe l’évolution des chantiers qu’il lance. Dans un pays conservateur où la nouveauté est regardée du coin de l’œil, il a dû pousser pour s’imposer. En bonne intelligence avec les milieux économiques.
Réforme monétaire, changement de statut de la BCM, place
des NTIC et même Franc CFA… Sans concession pour La Tribune Afrique, il se
soumet à la question. Voici ses réponses :
La Tribune Afrique : Le 1er janvier 2018, la Banque
centrale de Mauritanie mettait en circulation le nouvel Ouguiya. Six mois
après, quel bilan en faites-vous ?
Abdel Aziz Ould Dahi : Plusieurs
facteurs justifient cette réforme. Nous avions une circulation fiduciaire assez
importante et en face un faible développement des moyens de paiements
alternatifs notamment électroniques. La Mauritanie n’étant pas un pays qui
imprime ses billets, les coûts de maintenance de cette fiduciaire coûtait
relativement chère à la Banque centrale. D’un autre côté, l’Ouguiya
mauritanienne est née en 1973. Depuis lors, elle n’a presque pas connu de
changement majeur sauf au niveau de la qualité des billets. En tenant compte du
phénomène de l’érosion monétaire, le pouvoir d’achat de la monnaie a beaucoup
diminué au point où certaines dénominations anciennes n’avaient plus
véritablement un rôle économique. A un moment donné cela coûtait cher car nous
avions une masse monétaire assez importante en circulation.
Socialement,
le fait que ce soit une société très tournée vers le cash entraînait un certain
nombre de risques notamment de blanchiment d’argent ou de financement du
terrorisme. Ce sont des objectifs à court-terme qui ont consisté à diminuer les
charges de fonctionnement, de rendre à la monnaie son pouvoir d’achat. A long
terme, il s’agit d’amener plus de sécurité en luttant contre le blanchiment, le
financement du terrorisme, en favorisant une meilleure inclusion financière et
le développement de moyens de paiement plus traçables que le cash.
C’est un
projet qui a un double objectif. Le premier objectif, qui est celui de court
terme, me semble avoir été atteint car la réforme s’est passée dans de
relatives bonnes conditions. Au mois de juin 2018 donc à six mois, le retour
des anciens billets a déjà atteint 96% sur une période de temps fixé à un an.
Nous avions même pensé que les gens se presseraient à la dernière minute. Mais
la campagne de communication autour des nouveaux billets, qui ont suscité un
engouement, a été bonne. L’action a été coordonnée entre la Banque centrale, le
privé, le public, les autorités administratives, les politiques pour atteindre
l’intérieur du pays.
Est-ce qu’aujourd’hui vous avez pu mesurer les impacts de
la nouvelle monnaie sur l’économie et le marché ?
D’abord, cela nous a permis de mesurer en termes de nombre de comptes et de
liquidité bancaire. En six mois, nous avons enregistré près de 15.000 nouveaux
comptes bancaires qui sont venus s’ajouter à quelque 300.000 comptes déjà
existants. Et beaucoup de cash qui circulait est revenu dans le circuit
bancaire.
Ensuite,
nous avions eu une crainte sur les effets de cette réforme sur l’inflation.
Mais nous avons pu juguler cela avec une inflation qui reste encore
relativement maîtrisée autour de 3%. D’autre part, le « rebasing »
c’est-à-dire le changement de base unitaire a été simple. Il suffisait juste de
retrancher un zéro sur le libellé de l’ancienne monnaie pour avoir son
équivalent dans la nouvelle. Aujourd’hui, le taux de bancarisation est autour
de 15%, 25% si on compte les instituts de micro-finance (IMF).
Dans les mesures d’accompagnement, est-ce que vous avez
prévu une place pour les moyens de paiement électronique ?
Pour lancer les mesures d’accompagnement pour la mise en place de la nouvelle
monnaie, nous nous sommes dit qu’il ne fallait pas revenir à la situation
initiale qui consiste à ce que les Mauritaniens ramènent de l’argent à la
Banque pour l’échanger pour ensuite les retirer et continuer à fonctionner avec
la même quantité de cash.
Nous avons
donc incité les banques à lancer des campagnes de marketing pour cela. Beaucoup
de banques ont donc donné des facilités en termes d’ouverture de compte, de
services plus rapides. En dehors de cela, la BCM a initié un projet de
modernisation des moyens de paiement y compris ceux électroniques ou mobiles.
Il y a eu plusieurs initiatives mais un manque de communication entre les
différents systèmes mis en place par les banques dans le transfert d’argent.
Le rôle de
la BCM va être de les fédérer. Nous avons donc incité les différents opérateurs
à travailler ensemble en leur faisant comprendre que c’est la qualité de
service qui fera la différence. Aujourd’hui un certain nombre de factures
(électricité, eau) vont être payés dans un avenir très proche, par Internet.
Les moyens de paiement, comme le transfert d’argent, le mobile-money, entrent
dans le cadre de cette modernisation. Ce sera peut-être l’occasion de revoir le
cadre juridique pour permettre l’émergence de nouveaux acteurs dans le domaine
financier notamment les intermédiaires financiers pour le paiement de détail.
Et en réglant les problèmes d’accessibilité et les coûts dans un pays en
développement, nous pourrions développer des moyens de paiements alternatifs
comme le mobile-banking.
La Mauritanie n’imprime pas ses propres billets. Est-ce
que c’est dans les projets de la BCM d’acquérir cette compétence ?
Il faut relever que c’est un investissement lourd qui pose la question de sa
rentabilité. Nous pensons qu’à terme, avec l’utilisation des innovations
technologiques dans le domaine de la fintech, l’utilisation et le rôle du cash
vont être extrêmement limités. Il y a vraiment une convergence de points de vue
au niveau mondial, que la circulation fiduciaire n’est pas de nature à
renforcer la transparence ce qui va limiter le rôle du cash. Le peuple
mauritanien est très réceptif aux innovations technologiques. Je ne serais pas
étonné de voir en Mauritanie tous les services que l’on voit un peu partout
dans le monde à condition qu’il y ait de la régulation, qu’on incite à la mise
en place de systèmes interopérables. Beaucoup de ces services pourraient se
développer en suivant le besoin, la demande.
Vous avez amorcé un changement de statut à la Banque
centrale. À quels impératifs répond ce changement ?
La BCM comme toutes les banques centrales du monde voit l’environnement
financier mondial évoluer, surtout depuis la crise financière de 2008. L’idée
de cette réforme est de renforcer l’indépendance de la BCM afin qu’elle puisse
mener sa politique monétaire de façon tout à fait indépendante. D’autre part,
nous avons voulu renforcer la transparence financière de la BCM. Depuis 2008,
les comptes doivent être conformes aux normes International Financial Reporting
Standards (IFRS).
Pour
résumer donc, les changements dans le statut de la BCM répondent aux exigences
du renforcement de l’indépendance de la Banque et de sa transparence. De façon
plus globale, cela va dans le sens de la bonne gouvernance.
La Mauritanie a quitté le Franc CFA en 1973. Va-t-elle se
poser comme un exemple aux pays qui envisagent de quitter cette monnaie? Avec
la perspective de la monnaie unique, faut-il s’attendre à voir la Mauritanie
rejoindre cette zone monétaire ?
Nous n’avons pas la prétention de donner des leçons à qui que ce soit. Quitter
le Franc CFA, c’est un choix que nous avons fait en 1973. C’est un choix qui se
justifiait parce que la Mauritanie était un pays naissant qui avait l’ambition
de prendre en main sa propre destinée c’est-à-dire de mener sa propre politique
monétaire. C’est donc le choix d’un pays souverain dans ce domaine. D’un autre
côté, on ne dit pas aux autres pays : « faites comme nous ! ». En tout
cas, nous avons fait ce choix et nous ne le regrettons pas.
Nous
savons que pour développer une économie, la tendance, qui est une nécessité,
c’est d’élargir ses marchés. Cela a été le cas pour l’Europe, même si c’est
difficile. C’est aussi le cas au Maghreb, c’est un peu difficile aussi. Ce dont
nous sommes par ailleurs sûrs, c’est que l’intégration ne se fera qu’à travers
l’intégration économique. Je ne pense pas qu’il faille commencer l’intégration
sur la base d’une idée politique, cela va venir par la suite. C’est une
question qui se pose aujourd’hui en Europe qui a des difficultés politiques
mais qui n’empêchent pas les marchés de se développer. Je crois que ce qu’il
faut dans le cadre de l’intégration africaine c’est justement de commencer par
la création de cette monnaie unique.
Pour
l’exemple, Il y a eu une initiative sur la ZLEC au Sommet de Kigali pour
fluidifier les flux entre les pays africains. Cela va dans le bon sens. La
Mauritanie est convaincue, car elle a été un des premiers pays signataires, que
l’Afrique est sur la bonne voie et que c’est en unissant nos compétences, nos
ressources que nous aurons notre droit de cité dans le concert des nations.
You must be logged in to post a comment Login