Nul n’est censé ignorer
la loi, encore aujourd’hui, que la loi est une norme dont la souveraineté est
plus fragile que par le passé. Simplement, cette fragilité ne signifie pas que
la loi peut être violée sans conséquences. Au sens premier du terme, le
Parlement, caisse de résonnance de la volonté générale, a un intérêt à respecter la norme qu’il
élabore et qu’il vote. C’est pourquoi la loi interdit à tout membre d’une
commission d’enquête de donner son point de vue sur le contenu d’un rapport et
que chaque membre doit se borner à répondre aux questions qui lui sont posées sans
révéler d’autres faits connus lors de l’accomplissement de sa mission.
Du point de vue de la
vitalité démocratique et du respect de l’Etat de droit, s’il faut saluer la
tendance à la création de commissions d’enquête, toutefois, le contrôle de la
décision de ces commissions, dans cette procédure, nous paraît devoir répondre
à deux impératifs majeurs. Le premier, c’est de résister à la tentation
partisane. Le second impératif rejoint le premier, qui est celui du caractère
légal de la création d’une Commission et de la procédure préalable que doit
suivre la Commission avant la transmission du dossier à l’Assemblée Nationale.
Nous voulons démontrer
qu’un acte de cette importance ne s’improvise pas, et que les députés composant
une telle commission ont tout intérêt à en respecter les conditions de légalité
d’une telle décision. Dans le cas de « l’affaire des 94 milliards »,
il importe de rappeler l’impossibilité
pour une commission d’enquête d’investiguer dans le champ d’une procédure
judiciaire (I), avant de préciser
la séparation des systèmes d’expertise parlementaires et judiciaires (II), pour, enfin, s’interroger sur la
responsabilité des membres d’une commission d’enquête (III).
I-L’impossibilité
pour une commission d’enquête d’investiguer dans le champ d’une procédure
judiciaire
En vertu de l’article
87 de la Constitution, « L’Assemblée Nationale peut désigner en son sein
des commissions d’enquête. La loi détermine les conditions d’organisation et de
fonctionnement, ainsi que les pouvoirs des commissions d’enquête ». La
Constitution ne laisse guère planer de doute quant au sens de cette
disposition. L’article 48 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale qui
complète cette disposition précise : « L’Assemblée peut, par une
résolution, créer des commissions d’enquête. Les commissions d’enquête sont formées
pour recueillir des éléments d’information sur des faits déterminés et
soumettre leurs conclusions à l’Assemblée nationale. Il ne
peut être créé de commission d’enquête lorsque les faits ont donné lieu à des
poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.
Si
une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une
information judiciaire relative aux faits qui ont motivé sa création ».
Cette disposition mérite une précision dans la mesure où la notion de poursuites
judiciaires doit s’analyser non pas de façon restrictive mais de façon
extensive. Dans le cadre des poursuites judiciaires, le législateur vise toute
procédure qui implique une quelconque action judiciaire à partir de la saisine
d’un magistrat. Ainsi, dès lors que la justice est saisie, le politique se retrouve, de
fait, dessaisi. En effet, le
préambule de la Constitution du 22 janvier 2001 proclame « la
séparation et l’équilibre des pouvoirs conçus et exercés à travers des procédures
démocratiques ». C’est sous ce rapport que
l’invocation de « poursuites judiciaires » est significative : elle révèle le
souhait de placer le pouvoir judiciaire sur le même pied que les pouvoirs
exécutif et législatif, c’est-à-dire les pouvoirs politiques, en lui conférant
une légitimité analogue, fondée non sur l’investiture du suffrage universel
mais sur celle du droit. Cette prétention va bien au-delà de la simple indépendance,
car elle entend ériger la justice en sentinelle de l’État de droit, face à
l’État incarné par les autorités politiques. C’est pourquoi en vertu du
principe de la séparation des pouvoirs, le mandat parlementaire présente
plusieurs particularités. Au point de vue constitutionnel, son exercice est souvent disjointe
de l’activité juridictionnelle : immunité pour l’exercice du mandat
proprement dit, impossibilité pour une commission d’enquête d’investiguer dans
le champ d’une procédure judiciaire.
II-La
séparation des systèmes d’expertise parlementaires et judiciaires
L’autorité à qui sont
confiées des compétences dispose d’un pouvoir réel, le pouvoir de prendre
légalement certains actes, mais qui n’est jamais absolu en ce que ces
compétences lui imposent des obligations, de faire ou de s’abstenir de faire,
qui constituent pour elle autant de charges. C’est pourquoi la
séparation des systèmes d’expertise parlementaires et judiciaires interdit que,
pour conduire les enquêtes, le rapporteurs des commissions d’enquêtes puissent
bénéficier du concours d’experts placés sous la responsabilité du pouvoir
concerné. Cette précision est importantecar la commission d’enquête
parlementaire n’est ni une juridiction ni une autorité administrative.
Il
ne lui revient de condamner ni d’absoudre personne. Par conséquent,
elle ne pouvait que demander à entendre des personnes sur « l’affaire des 94
milliards » en les invitant par une lettre à venir répondre à une audition
comme elle l’a fait pour toutes les personnes entendues. La procédure, à cet
effet, est relativement simple. Le président de la commission, le rapporteur,
les députés posent leurs questions et les personnes auditionnées répondent. Sur
quoi ? Sur l’organisation du fonctionnement des services des domaines, sur la
nature des fonctions du directeur des domaines, sur la connaissance des faits
qui lui sont reprochés, sur les accusations dont il fait l’objet, sur les raisons
de telles accusations, sur les éléments de droit et de fait en cause, etc. Dès
lors, le meilleur moyen pour le camp de la majorité d’éclaircir « l’affaire
des 94 milliards », c’est de ne point influencer la justice, la
Constitution l’empêche et l’interdit d’ailleurs.
III-La
responsabilité des membres de la commission d’enquête parlementaire ?
Sous les alternances
2000 et 2012, la quasi-désuétude du contrôle parlementaire est voulue et
avérée. Un parlementarisme « rationalisé », une démocratie majoritaire et un
exécutif exalté par le suffrage universel depuis 1963 et une
hyperprésidentialisation renouvelée depuis 2019 ne lui laissent guère de place.
La seule sanction politique qui reste est l’échéance électorale. Toutefois, l’effondrement
des contrôles parlementaires déplace le lieu de l’exigence démocratique vers
les juges et l’opinion. A cet égard, il serait important de rappeler que
« la loi votée par le Parlement n’exprime la volonté générale que dans le
respect de la Constitution ». Cette formule permet de rappeler que la
« politique est saisie par le droit » et que l’absence de
responsabilité politique est sans préjudice de l’existence de la responsabilité
pénale. Il en est ainsi de la violation du secret par les membres d’une
commission d’enquête parlementaire.
Date sa décision du
21/12/1999, Tamsir
MBOUP c/ Oumar SAMB, l’ancienne Cour de cassation du
Sénégal, devenue la Cour suprême, a précisé le régime de la responsabilité
pour violation du secret professionnel. Le secret de l’article 48 du
règlement intérieur de l’Assemblée Nationale est dicté dans le double intérêt
de l’efficacité de la recherche de la vérité et de la protection de la
présomption d’innocence. Rappelons que, d’après l’article 48 du
règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, «Tous les membres des commissions
d’enquête, ainsi que ceux qui, à un titre quelconque, assistent ou participent
à leurs travaux, sont tenus au secret. Toute infraction
à cette disposition sera punie des peines prévues à l’article 363 du Code
pénal. L’Assemblée nationale peut, seule, décider, après audition du
rapport et discussion, par un vote spécial, la publication de tout ou partie du
rapport d’une commission d’enquête. Seront punis des peines prévues par l’article
363 du Code pénal, ceux qui publieront une information relative aux travaux, aux
délibérations, aux actes ou aux rapports non publiés des commissions d’enquête
(article 5 de l’ordonnance n°60-14 du 3 septembre 1960) ». L’article 48 du
règlement intérieur interdit ainsi aux membres d’une commission de divulguer
les éléments ou le contenu secret d’un rapport avant terme. La marge de manœuvre
des membres de la Commission reste donc étroite, les obligations imposées aux
membres d’une commission d’enquête devant être comprises au regard du rôle
spécifique conféré à l’institution à laquelle ils appartiennent et, plus
largement, de l’intérêt général de la République. Une rigueur qui s’avère
toutefois nécessaire en vue de préserver les membres de la commission d’une
dépendance trop marquée à l’égard des intérêts partisans et, sans doute plus
fondamentalement, de prémunir l’institution d’une perte de crédibilité induite
par certaines pratiques formellement discutables.
La responsabilité des
membres de la commission dans le cadre de la communication du rapport de compte
rendu de mission à la presse, lors de la procédure ayant abouti à établir un
tel rapport sur « l’affaire des 94 milliards », serait suffisamment
établie selon les dispositions de l’article 48 et de l’article 363 du Code
pénal. En effet, la qualité de membre d’une commission d’enquête conférée au
député met à sa charge l’obligation légale de renseigner préalablement l’Assemblée
Nationale complètement et totalement sur l’état de ce dossier.
Toutefois, les
différents mécanismes de sanction prévus à l’encontre de membres de commissions
qui auraient « violé » leur serment risquent finalement de se trouver grippés.
Les
sanctions prévues à l’article 363 du Code pénal montrent, par sa seule existence,
que le législateur n’a nullement fait preuve d’excès d’angélisme à l’égard des
membres fautifs d’une Commission, son efficacité peut alors prêter à
discussion.
Mouhamadou
Ngouda MBOUP
Enseignant-chercheur de droit public
FSJP/UCAD
Consultant
You must be logged in to post a comment Login